Fondation Jean Piaget

Présentation

1936.
La naissance de l'intelligence chez l'enfant.
 Chap. 6: Le sixième stade: L'invention des moyens nouveaux par combinaison mentale
Texte PDF mis à disposition le 15.10.2008



Une phrase de la p. 302 résume la caractéristique essentielle de ce sixième et dernier stade de construction de l'intelligence sensori-motrice: la nouveauté consiste "en ceci que, désormais, les schèmes entrant en action demeurent à l'état d'activité latente et se combinent les uns avec les autres avant (et non pas après) leur application extérieure et matérielle". Voilà ce que cela signifie plus concrètement: vers 18 mois, l'enfant visant un certain objectif non directement atteignable (par exemple: faire sortir une chaîne d'une boîte fermée ou presque fermée, ou encore saisir un objet trop éloigné pour pouvoir l'être sans intermédiaire, cela alors que l'enfant n'a pas eu l'occasion d'apprendre au cours du 5e stade et par tâtonnement dirigé comment résoudre de tels problèmes), après peut-être un ou deux essais infructueux de résoudre le problème ou d'atteindre son but, s'immobilise. Lors de ce temps d'arrêt les schèmes préalablement acquis et qui ont abouti dans le passé à résoudre des problèmes voisins de l'actuel s'activent alors, mais seulement sous forme d'esquisse et de manière qui peut rester invisible pour l'observateur. Le schème d'action ne s'accomplit pas jusqu'au point à agir de fait sur les éléments de la situation qui, utilisés ou écartés, permettront au sujet d'atteindre l'objectif visé. Mais le schème ainsi esquissé suffit à modifier la signification de la scène perçue. Par exemple le schème moteur de la main saisissant le bâton et l'appliquant à l'objet pour le rapprocher s'ébauche, mais sans s'accomplir réellement; cette ébauche de mouvement, à la limite invisible, donne un nouveau sens au bâton présent dans le champ de perception et qui devient alors, au yeux du sujet, l'instrument grâce auquel l'objet désiré pourra être effectivement saisi. Une assimilation réciproque se fait ainsi entre le schème de préhension qui permettra finalement d'atteindre l'objectif visé, et les schèmes auxiliaires qui, agissant sur certains éléments de la situation, permettront la réalisation complète du premier et donc l'accès au but. Une fois le problème résolu de manière "mentale" — c'est-à-dire sans que l'action intermédiaire (ou les actions intermédiaires) soit effectivement déployée de manière visible, mais éventuellement avec des moyens rudimentaires de représentation de cette action — le sujet accomplira la série complète de mouvements, en enchaînant du premier coup (avec éventuellement de petits ajustements non significatifs) les schèmes d'action lui permettant d'atteindre l'objectif. On a donc ici affaire à une coordination moyen-fin qui peut rester non perceptible pour l'observateur extérieur (outre les comportements de ses enfants vers l'âge de 18 mois, Piaget mentionne également l'exemple des comportements intelligents observés par Kœhler chez les primates, mais que celui-ci expliquait comme résultant d'une simple réorganisation du champ perceptif).

Notons encore que la notion de représentation utilisée par Piaget pour décrire les capacités d'action mises en jeu par l'enfant du 6e stade n'implique pas qu'il y ait déjà une activité de représentation opératoire des mouvements de l'objet, contrairement à ce dont il sera capable quelques années plus tard. Dans les années 1960, Piaget et Inhelder effectueront d'ailleurs des recherches sur l'image mentale qui démontreront que ce n'est pas avant la construction des opérations géométriques élémentaires (entre 6 et 9 ans environ) que les enfants seront à même de se représenter de manière adéquate le mouvement ou les déplacements des objets (JP66a).