Fondation Jean Piaget

Epistémologie génétique


Créée par Piaget dans les années vingt, l’épistémologie génétique se veut une nouvelle discipline scientifique dont l’objet général est la connaissance, et dont la méthode principale est l’étude de l’évolution des connaissances chez l’enfant et dans l’histoire de la science.

En lançant les bases de cette science dès les années vingt et en en assurant l’essor dès les années trente, Piaget jetait très clairement, et au début tout à fait amicalement, un pavé dans la mare de la philosophie. En effet celle-ci a, dès ses débuts chez Platon et Aristote, intégré parmi ses interrogations fondamentales celle de la connaissance, et tous les grands philosophes de la pensée occidentale ont apporté des éléments de réponse aux problèmes généraux que soulève la connaissance (sa nature, sa valeur, ses variétés, sa signification, son origine, sa genèse).

Au dix-huitième siècle encore Kant a défini le champ d’étude de la philosophie par les trois questions centrales que peut se poser l’être humain par rapport à son destin: Que puis-je savoir? Que dois-je faire? Que puis-je espérer? La première de ces questions relève de l’épistémologie. Mais ce qui distingue l’épistémologie génétique est sa manière scientifique de délimiter et de traiter les problèmes.

En faisant de la philosophie de la connaissance une science, Piaget ne faisait certes pas oeuvre complètement originale. A l’égal de ce qui s’était passé pour la psychologie, le dix-neuvième siècle et le début du vingtième comportent plusieurs démarches allant dans ce sens. L’épistémologie génétique elle-même avait trouvé une première préfiguration chez le psychologue J.-M. Baldwin, qui, avant Piaget, avait cherché à construire une "théorie génétique de la réalité" basée sur l’étude du développement cognitif de l’enfant.

Mais aucune de ces démarches n’avait complètement coupé le lien d’assujettissement, et toutes restaient ce qu’il était alors souvent convenu d’appeler des "philosophies scientifiques".

Une épistémologie pleinement scientifique

Ce qui fait la valeur de la tentative de Piaget, c’est d’une part la force de travail et le génie de l’auteur, ainsi que la précocité du projet (Piaget a vingt-huit ans lorsqu’il rédige le texte – une revue critique de l’un des livres de son maître Brunschvicg – qui peut être considéré comme le point de départ de l’épistémologie génétique); mais c’est d’autre part et surtout qu’il disposait d’atouts maîtres pour réussir son coup de force.

Contrairement à Baldwin ou à d’autres auteurs, tout en conservant de l’amitié pour la philosophie, Piaget a su rompre avec l’écorce philosophique qui enveloppait ses premiers travaux consacrés à la pensée humaine et à la connaissance, en libérant sur ce terrain l’esprit scientifique, c’est-à-dire le grand respect pour les faits méthodiquement et patiemment conquis, qu’il avait acquis sur le terrain de la zoologie pendant ses jeunes années.

Il a pu dès lors d’autant mieux maîtriser la fibre philosophique que par ailleurs, autre atout maître, l’approche adoptée pour étudier la connaissance s’est avérée très vite être la bonne: l’enquête méthodique et patiente sur la formation des connaissances s’avérait aussi précieuse et solide que l’enquête sur les formes biologiques, leur classification et leurs liens de filiation.

L’autre grande approche adoptée par des savants de valeur du début de ce siècle, Frege, Russell, etc., était en un sens vouée à l’échec, dans la mesure où elle était développée à partir de disciplines, la logique et la mathématique des fondements, dont l’objet a toujours possédé pour ceux qui l’étudiaient une aura la faisant placer dans le domaine des idées en soi, des êtres d’un autre monde, du monde des fées, comme le disait le philosophe Hume, précurseur de l’étude psychologique des connaissances.

Bref, étudier la connaissance, lorsque l’on vient de la biologie (cette science du mortel) n’est pas tout à fait la même chose que de l’étudier lorsque l’on vient de la logique ou de la mathématique (ces sciences de l’éternel)!

Une nouvelle approche de la connaissance

En créant l’épistémologie génétique, Piaget a eu dès le départ l’idée très claire que la meilleure façon de résoudre les problèmes que soulève la connaissance (sa valeur, sa signification, etc.) était de considérer celle-ci sous l’angle de son évolution ().

Jusqu’au dix-neuvième siècle l’essentiel des efforts des philosophes avait porté sur la connaissance en tant qu’achevée.

En considérant les connaissances de son temps, Platon avait ainsi pu distinguer les opinions changeantes de ses concitoyens, qui à ses yeux n’étaient pas de vraies connaissances, de la véritable science, dont les mathématiques fournissaient le modèle le plus connu (mais Platon souhaitait chapeauter celle-ci par une science supérieure, celle du philosophe – posture très souvent partagée par les "philosophes de métier", qui fera définitivement s’éteindre l’amitié pour la philosophie longtemps conservée chez Piaget).

De son côté, Kant, considérant la géométrie euclidienne comme le modèle d’une science complète, en avait fait une voie royale pour répondre à la question de la possibilité de la connaissance; c’est elle qui lui avait permis de remonter de son existence de fait aux conditions permettant d’accéder à cette science.

Les analyses conduites par Platon, Kant et bien d’autres n’ont pas été vaines. Elles ont effectivement éclairé certains pans de la connaissance. Il n’en reste pas moins que les quelques résultats de valeur apportés par l’analyse philosophique des connaissances sont perdus dans une masse d’affirmations incontrôlées, immanquablement générées par le pouvoir de déduction de l’esprit humain lorsque celui-ci ne trouve pas le moyen de brider son goût pour la spéculation.

Au contraire, étudier les connaissances sous l’angle de leur évolution contraint inévitablement le savant à garder les pieds sur terre, du moins si cette étude adopte les méthodes positives des sciences de l’évolution (la biologie, la psychologie du développement, l’histoire). Cela ne signifie pas l’abandon de la spéculation, mais seulement son relatif asservissement à l’approche scientifique.

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[…] il existe donc deux sortes d’expériences: l’expérience physique conduisant à une abstraction de propriétés tirées de l’objet lui-même et l’expérience logico-mathématique avec abstraction à partir des actions ou opérations effectuées sur l’objet et non pas à partir de l’objet comme tel.