Fondation Jean Piaget

Le rôle du sujet dans la connaissance physique et expérimentale

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Présentation

Piaget insiste sans cesse sur le fait que la connaissance physique ne peut être considérée comme une simple copie du réel puisqu’elle résulte toujours d’une reconstruction à partir des actions, matérielles ou symboliques (opératoires), exercées sur lui et de leurs coordinations pratiques ou de leurs compositions opératoires. Il prend soin toutefois de distinguer dans ces actions ce qui relève de leurs coordinations générales, sources d’opérations logico-mathématiques qui vont fournir les instruments indispensables à la connaissance rationnelle, et ce qui relève d’actions particulières fournissant des informations physiques. Or, ces actions particulières, sources de transformations susceptibles d’être reliées entre elles, sont d’autant plus subjectives que le sujet demeure centré sur ses sensations et perceptions immédiates. Elles peuvent alors conduire à une assimilation déformante, faute d’accommodations suffisantes aux caractéristiques de l’objet ou de compositions suffisantes entre les opérations du sujet. Elles sont également à l’origine de pseudo-nécessités et pseudo-impossibilités qui caractérisent les phases initiales du développement des connaissances et ont pour effet de conduire à des généralisations indues ou au contraire d’imposer des limites au développement d’hypothèses.

Les connaissances élaborées à propos des objets sont donc d’autant plus objectives que le sujet est décentré par rapport à celles-ci. Cette décentration suppose que les actions particulières soient insérées dans un système de coordinations logico-mathématiques qui leur confèrent un caractère de nécessité. L’activité du sujet dans la connaissance revêt donc une importance fondamentale, mais celle-ci peut agir suivant deux modes bien différents selon qu’elle est source de déformation, parce que centrée sur le moi, la conscience immédiate, les perceptions et sensations, ou au contraire source d’objectivité, parce que décentrée, c’est-à-dire insérée dans un cadre de coordinations logico-mathématiques qui permet de conférer aux liaisons constatées un caractère de nécessité. En ce cas, elle consiste à affranchir le sujet de son égocentrisme initial en l’éloignant de l’intuition sensible au profit d’un système d’opérations reliant le sujet et l’objet. C’est pourquoi Piaget établit une distinction importante entre le sujet psychologique qui présente des besoins et pouvoirs particuliers en fonction de son histoire et le sujet épistémique, source d‘activités structurantes et organisatrices. Le progrès des connaissances physiques ou expérimentales qui représentent un important secteur du travail cognitif de l’homme est donc solidaire d’une décentration croissante, elle-même solidaire d’une médiation accrue entre le sujet et l’objet. Cette médiation accrue se traduit par une différenciation graduelle entre le réel, le possible et le nécessaire qui conduit à insérer le réel dans un système de transformations possibles dont il tire son intelligibilité en raison des nécessités déductives dont il procède.

©Marie-Françoise Legendre

Toute extrait de la présente présentation doit mentionner la source: Fondation Jean Piaget, Piaget et l'épistémologie par M.-F. Legendre
Les remarques, questions ou suggestons peuvent être envoyées à l'adresse: Marie-Françoise Legendre.

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Citations

Rôle de l’action dans la connaissance
L’intervention de l’action du sujet n’est (…) ni favorable ni préjudiciable en soi, du point de vue de la connaissance : elle peut fausser les choses, ce qu’elle fait en général au début dans une mesure assez large, mais elle peut les rétablir en leurs liaisons et incorporer l’action dans ces liaisons mêmes, ce qui conduit à l’objectivité. I.E.G., Vol.II, p. 132

Rôle du sujet dans la connaissance physique
(...) le propre de la connaissance physique est non seulement de dépasser mais, dans un grand nombre de cas, de contredire les données «subjectives» et de récuser les apparences sensorielles ou les certitudes intuitives pour mieux libérer l'objet du sujet. Les termes de «sujet» et de «subjectif» recouvrent donc deux sortes de réalités, qu'il s'agit de dissocier dès le départ, selon que le sujet est source d'activités nécessaires pour atteindre l'objet ou source de déformations s'opposant à cette démarche vers l'objectivité. L.C.S., p. 600
(...) la connaissance physique n'est due ni à la seule expérience extérieure ni à la seule expérience interne mais à une union nécessaire entre les structures logico-mathématiques, nées de la coordination des actions, et les données expérimentales assimilées à elle. I.E.G., Vol. II., p. 17
(...) s'il y a assimilation, les faits et relations physiques ne sont constatés et compris qu'à travers les opérations logico-mathématiques du sujet constatant ou déduisant, et cela en une interaction telle que la frontière entre les propriétés de l'objet et les opérations du sujet, entièrement indécidable au départ, s'atteint seulement par voie progressive et à la manière d'une «limite» mathématique. L.C.S., p. 764.

Psychogenèse de notions physiques
(…) l’analyse systématique de la psychogenèse des notions, au cours du développement de l’enfant, met (…) en évidence un fait d’une importance épistémologique décisive: c’est que le contact avec l’objet et avec le « fait » expérimental est bien plus difficile encore au point de départ de l’évolution mentale qu’aux stades supérieurs et que, plus une pensée est primitive, moins elle est proche du simple « donné ». (…) Dès les débuts, la connaissance est, en effet, non pas constatation de rapports tout préparés, mais assimilation de l’objet à l’activité propre et construction de relations en fonction de cette assimilation, d’abord déformante puis peu à peu équilibrée avec une accommodation complémentaire des schèmes d’assimilation au réel. C’est donc cette assimilation qu’il s’agit d’analyser, dès ses phases initiales et jusqu’à cette assimilation rationnelle que constitue la pensée physique élaborée.I.E.G., Vol.II., p. 15.

Progrès de la connaissance physique
Le progrès de la connaissance physique revient (…) à coordonner les actions entre elles en les rendant relatives au système d’ensemble dont elles deviennent chacune une transformation parmi d’autres (l’équilibre de la coordination entre actions étant atteint lorsque leur composition atteint l’état réversible, ce qui leur confère le rang d’opérations). Or, cette coordination consiste en une décentration des actions initiales, et cela en deux sens complémentaires. D’une part, dans le mesure où les actions se coordonnent, le sujet se détache de son point de vue égocentrique, parce que chacune de ses actions est alors insérée dans un système qui l’englobe: l’activité coordinatrice l’emporte ainsi sur l’action directe liée à l’objet, et cette activité coordinatrice s’intériorise ou se « réfléchit » en des schèmes opératoires d’autant mieux structurés ou formalisés qu’ils s’éloignent davantage des actions concrètes immédiates. Réciproquement l’objet s’extériorise et s’objective d’autant plus qu’il est désormais assimilé aux coordinations générales de l’action ou de la pensée, et non plus à l’activité propre momentanée. I.E.G., Vol.II, p. 18

Relativité des notions à l’échelle des phénomènes étudiés
Les concepts ordinaires de la pensée, ou, (…) les notions « familières », constituent si bien, en effet, l’expression de l’action du sujet sur les objets qu’elles demeurent relatives à l’échelle de cette action même, et que, en dessous de cette échelle, c’est-à-dire lorsque apparaissent les limites des activités expérimentales effectives, ces notions se révèlent toutes plus ou moins inadéquates. (…) Mais, à vouloir descendre sous l’apparence globale, et à vouloir atteindre le détail des phénomènes à l’extrême limite de nos moyens actifs ou pratiques d’investigation, la pensée physique a fait, en fin de compte, une expérience décisive, sur laquelle il nous faut insister maintenant : c’est que les limitations mêmes de l’action se traduisent nécessairement par une transformation de la pensée comme telle! I.E.G., Vol.II., p. 217

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[…] un enfant sachant compter jusqu’à 15 ou à 20, la question est d’établir ce qu’il sait faire avec cette suite et jusqu’où il la traite comme une suite de nombres ou s’il ne s’en sert qu’avec les limitations des groupements de classes [p. 11] et de relations ou même des structures inférieures au niveau du « groupement ».