Fondation Jean Piaget

Les processus d'induction et de déduction

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Piaget considère que la notion d'induction soulève des problèmes centraux pour l'épistémologie de la physique. En effet, comment la déduction devient-elle possible? Qu'est-ce qui différencie les processus inductifs et déductifs et quel rôle jouent-ils dans la connaissance physique? De même que les notions de hasard et d'irréversibilité ne peuvent être comprises par la pensée qu'au moyen d'opérations réversibles, de même, l'induction est liée à la déduction. Piaget définit l'induction comme l'ensemble des procédés de pensée qui tendent à organiser les données d'observation ou d'expérience, c'est-à-dire à les mettre en relation logique ou mathématique. L'induction est donc essentiellement une méthode qui ne diffère de la déduction que par le caractère incomplet ou inachevé du système opératoire dont elle procède, lequel fait intervenir le hasard ou le mélange. Ainsi, soit qu'elle prépare la déduction en construisant de nouvelles notions ou de nouveaux schèmes opératoires par approximation et tâtonnements successifs, soit qu'elle supplée à la déduction en se développant sous forme de procédé s'appuyant sur celle-ci, mais spécialisé en fonction des résistances imprévues du réel. L'induction a alors pour fonction de faire la part entre ce qui est déductible et ce qui au contraire échappe à la déduction, c'est-à-dire à un déterminisme absolu.

Le point de départ de l'induction réside, pour Piaget, dans la différenciation au contact des données physiques de rapports physiques composables, selon des liens réversibles et nécessaires, et du hasard en tant que mélange irréversible résistant à la composition déductive. D’un point de vue psychogénétique, il y a lieu de distinguer deux grandes périodes dans la formation de l’induction et dans ses rapports avec les structures de groupement ou de groupe. Avant la constitution de systèmes opératoires déductifs, de niveau d’abord concret (groupements) puis formel (groupes), il n’y a pas de déduction à proprement parler et il n’est donc pas possible de distinguer l’induction de la déduction. À partir du moment où se forment des structures opératoires de caractère déductif, d’abord concrètes, puis formelles, ces systèmes achevés servent alors de modèles à l’esprit dans son effort de structuration des données expérimentales nouvelles qui s’offrent à lui. C’est alors que l’induction se différencie de la déduction, sous forme de procédés inspirés de la déduction, mais s’appliquant aux résistances imprévus du réel.

Ainsi, tant que l'enfant ne différencie pas le possible et le nécessaire, l'imprévisible et le déductible, l'induction et la déduction demeurent indifférenciées. Les progrès de l'induction sont donc liés à ceux de la déduction. Mais alors que cette dernière est de nature essentiellement logique, l'induction, en tant que structuration graduelle du monde physique en fonction de l'expérience sur les objets, conserve une valeur durable dans la compréhension et l’explication du réel, en raison même des limites de la déductibilité. En effet, la majorité des schèmes physiques se situe à mi-chemin entre une détermination absolue et une indétermination complète. D'où le rôle essentiel des processus inductifs en physique dont la fonction est précisément de dissocier, en toute expérience ou en tout domaine nouveau ouvert à l'expérience physique, l'invariant et le fortuit, le nécessaire et l'aléatoire. Aussi, la notion d'induction est-elle étroitement liée, selon Piaget, aux notions de hasard et d'irréversibilité ainsi qu'à l'indétermination relative de certains phénomènes physiques. Si la déduction implique un déterminisme absolu lié à la nécessité déductive du système opératoire dont elle procède, l'induction se rattache au contraire au probabilisme ou déterminisme statistique, qui marque les limites de notre action à une certaine échelle.

©Marie-Françoise Legendre

Toute extrait de la présente présentation doit mentionner la source: Fondation Jean Piaget, Piaget et l'épistémologie par M.-F. Legendre
Les remarques, questions ou suggestons peuvent être envoyées à l'adresse: Marie-Françoise Legendre.

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Citations

Raisonnement inductif et déductif
(…) s’il est clair que tout raisonnement achevé est toujours nécessairement déductif, il n’en subsiste pas moins que la déduction est rarement possible de façon immédiate et sans un travail d’élaboration préalable ou de préparation même. En effet, pour pouvoir déduire, il faut être en possession de notions ou de schèmes opératoires déjà construits, et leur construction comme telle ne consiste pas en un processus déductif puisqu’il s’agit au contraire de les organiser par approximations et tâtonnements successifs jusqu’à rendre possible leur libre composition, c’est-à-dire la déduction finale. I.E.G., Vol. II., p.184.

Déduction et induction
(…) si l’on définit la déduction concrète ou formelle, par les groupements logiques ou les groupes mathématiques qui coordonnent les opérations en systèmes cohérents, fermés et réversibles, on peut dire, de façon générale, que l’induction est le système des raisonnements qui aboutissent seulement à des groupements incomplets, c’est-à-dire qui préparent la déduction sans y parvenir entièrement. I.E.G., Vol. II., pp. 190-191.

Raisonnement inductif
(...) un fait réel étant toujours un composé de hasard et de transformations exprimables en termes d'opérations déterminées, le raisonnement inductif est alors celui qui délimite les deux domaines et les combine selon leurs parts respectives. G.I.H., p. 216.

Rôle de l’induction dans l’établissement de lois
Du fait même que la réalité physique constitue un agrégat complexe, où les lois ne sont jamais données à l’état simple, mais interfèrent à des degrés divers, et où des domaines entiers sont dominés par le hasard sans même que l’on sache d’avance si de telles lois simples existent sous le fortuit, la recherche expérimentale suppose nécessairement deux temps : d’abord un passage des faits à la loi, au cours duquel le problème essentiel est alors précisément d’isoler certains rapports (constants ou probables) parmi l’ensemble enchevêtré des données, et ensuite seulement une structuration ou mise en forme des lois les unes par rapport aux autres. Si chacun s’accorde à appeler déduction cette seconde étape, ou étape supérieure du travail d’interprétation propre au physicien, on peut conserver le terme d’induction pour désigner l’étape préliminaire : l’induction serait donc le passage des faits aux lois, ou, si l’on préfère (car il n’existe aucune différence de nature entre les faits et les lois), l’établissement des faits eux-mêmes, en leurs généralités respectives. I.E.G., Vol. II, p. 183

Définition de l’induction
Si l’induction ne constitue pas un mode de raisonnement parmi les autres, mais une méthode, il faut donc chercher à la comparer, non pas à ces raisonnements déductifs isolables, mais aux systèmes opératoires d’ensemble dont ils sont extraits. I.E.G., Vol. II., pp 185-186
D’une part, l’induction ne comporte pas de systèmes opératoires d’ensemble achevés et fermés, comparables à ceux qui permettent l’exercice de la déduction. Mais d’autre part, l’induction n’est possible que lorsque de tels modèles déductifs existent déjà et peuvent servir de guide à la recherche. L’induction est donc un ensemble de procédés de pensée qui tendent à organiser les donnés d’observation ou d’expérience, c’est-à-dire à les classer sous forme de concepts susceptibles d’emboîtement hiérarchiques et à les mettre en relation logiques ou mathématiques susceptibles de constituer des systèmes entièrement composables. I.E.G., Vol. II., p.186.
(…) l’induction consiste donc en un groupement incomplet, soit qu’il prépare un système déductif soit qu’il y supplée ; mais il n’existe pas de différence entre les éléments logiques de la coordination inductive et ceux des systèmes déductifs , la seule opposition tenant au caractère incomplet ou complet de la totalité opératoire. I.E.G., Vol. II., p.186.
Mais si l’induction consiste en un groupement déductif incomplet, en tant que limité par l’existence du hasard, il est essentiel à la recherche inductive de formuler son principe en coordonnant des deux aspects inséparables, et c’est pourquoi nous le formulerions en disant qu’il affirme le caractère hautement probable de la déductibilité du réel. I.E.G., Vol. II., p. 195.

Nécessité du recours à l'induction
Au total, la nécessité du recours à l'induction tient donc toujours à l'intervention du hasard ou du mélange. (...). l'induction n'est pas un mode particulier de raisonnement et diffère des groupements déductifs uniquement par ses caractères de totalité. Mais du point de vue précisément de la totalité, le processus inductif demeure inachevé et sans fermeture parce que, au lieu de procéder sur des rapports simples et réversibles, il se heurte au mélange: mélange des données expérimentales non encore dissociées ou des notions non encore différenciées faute d'une analyse suffisante dans le cas où l'induction tient à l'ignorance du sujet et n'est qu'une préparation à la déduction: ou mélange objectif dans le cas où l'induction est nécessitée par le caractère aléatoire du réel et suppléée à la déduction. L'induction participe ainsi d'une manière ou d'une autre au hasard: hasard des démarches du sujet à l'égard du réel, ou hasard inhérent au réel lui-même. I.E.G., Vol. II, p. 194.
C'est cette parenté intime entre l'induction et le hasard irréversible, d'une part, ainsi qu'entre la déduction et les mécanismes réversibles, d'autre part, qui font à la fois comprendre le paradoxe de l'induction et la nature de ce que l'on appelle le principe ou le fondement de l'induction. I.E.G., Vol. II, p. 194.

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L’espace occupe […] une situation spéciale, pouvant être, soit physique et mathématique à la fois, soit uniquement mathématique, selon qu’il intéresse simultanément l’objet et l’action, ou l’action en ses coordinations seules. Le sujet peut, en effet, déplacer, sectionner, etc. un objet, mais l’objet peut se déplacer, être sectionné, etc. indépendamment du sujet.