Fondation Jean Piaget

Origine des formes biologiques


Le domaine du vivant est par excellence celui d’une profusion de formes et de propriétés complexes, dont un bon nombre favorise la conservation et l’adaptation des organismes à leur milieu.

Si l’on admet l’importance de cette adaptation, et si l’on tient compte de l’importance corrélative de l’organisation du milieu intérieur au vivant, deux questions générales se posent par rapport à ces formes et propriétés. La première est celle de leur stabilité à travers le temps, et la seconde celle de l’origine des formes adaptées.

Les réponses qui peuvent être apportées à la seconde question peuvent se classer dans un tableau à double entrée, dont la première dimension porte sur les relations entre l’organisme et le milieu, et la seconde dimension, sur l’acceptation ou la reconnaissance de la thèse de l’évolution des espèces.

Les thèses non évolutionnistes

Les thèses non évolutionnistes, qui n’ont guère cours aujourd’hui, ne sont rappelées par Piaget que dans la mesure où s’y dessinent déjà les oppositions entre trois grandes solutions qu’il croit pouvoir détecter dans les théories évolutionnistes.

L’harmonie préétablie et le préformisme

La première, issue du créationnisme, est celle, finaliste, de l’harmonie préétablie: les espèces sont créées ou données dès le départ avec leurs caractères adaptatifs. Aussi indifférenciée soit-elle, cette thèse implique un certain primat du milieu par rapport aux caractéristiques des organismes, dans la mesure où les caractères se plient aux propriétés du milieu. Dans cette solution les bonnes formes sont données dès le départ et ce ne sont tout au plus que des accidents qui peuvent en engendrer de mauvaises.

Plus élaborée est déjà la thèse contraire du préformisme, dont un représentant majeur serait le biologiste Weismann.

Les très nombreuses formes que manifeste le monde biologique ne seraient que le produit de la combinaison du germen, immortel, dont sont porteurs les différents organismes. Cette solution revient à dire que l’ensemble des oeuvres musicales crées pour le piano et reconnues comme de qualité ne sont qu’un sous-ensemble de toutes les combinaisons possibles des notes produites par chacune des touches du clavier. Ce qui est vrai, mais n’explique en rien la genèse de ces oeuvres.

Dans cette solution, certaines espèces naissent et d’autres disparaissent. Mais il n’y a pas de réelle évolution dans le sens où tout est donné d’avance, les bonnes solutions, comme les mauvaises.

Émergence de nouvelles formes

Quant à la troisième solution non-évolutionniste, Piaget l’illustre par la thèse selon laquelle chaque nouvelle forme émergerait de la totalité fournie par la situation extérieure et l’organisation intérieure. Il y aurait alors suite d’états sui generis et non pas évolution (JP50c, p. 95).

La raison pour laquelle, hormis le préformisme, les solutions non-évolutionnistes au problème de l’origine des formes biologiques sont moins nombreuses et moins développées que celles concernant les formes psychologiques, et en particulier cognitives, est évidente. Lorsque certains psychologues adoptent des thèses non-génétiques en affirmant que tout est donné d’avance, ils peuvent déléguer au biologiste la tâche d’expliquer l’origine épistémologique des connaissances. Une telle échappatoire n’est plus possible pour le biologiste qui cherche une solution scientifique à son problème d’origine.

Dès l’abandon du créationnisme au dix-neuvième siècle, il a bien fallu accepter l’hypothèse de l’évolution des espèces, d’ailleurs rendue plausible par la convergence des multiples découvertes faites depuis près de deux cents ans en paléontologie, en anatomie comparée, en embryologie, en génétique, etc.

Les solutions évolutionnistes offrent un tableau plus différencié que celles, agénétiques, qui les ont précédées dans l’histoire de la biologie. Une bonne partie des réflexions de Piaget sur le plan de l’épistémologie de la biologie va être de montrer l’existence, aux côtés des deux thèses classiques du lamarckisme et du darwinisme, d’une troisième solution.

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Il peut en effet exister un certain nombre de « sagesses » différentes et cependant toutes valables, tandis que, pour le savoir, il ne saurait subsister sur chaque point qu’une seule connaissance « vraie », si approximative soit-elle et relative à un niveau donné de son élaboration.