L'épistémologie scientifique: ses méthodes
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L'épistémologie scientifique recourt essentiellement à deux grandes méthodes liées respectivement à l'analyse des structures (méthode d'analyse formalisante) et à celle de leur genèse (méthode génétique ou historique). Piaget juge néanmoins pertinent de relier ces deux méthodes à celle de l'analyse directe qui permet de soulever un certain nombre de problèmes et d'esquisser des solutions qui pourront être confrontées à celles de l'épistémologie scientifique.Méthode d'analyse directe
Piaget appelle méthode d'analyse directe la réflexion épistémologique sur l'état actuel des connaissances dans une science considérée, réflexion qui prend souvent naissance à propos des crises qu'elle traverse (voir épistémologie interne). Si la méthode d'analyse directe ne suffit pas, selon Piaget, à résoudre la problématique de l'épistémologie scientifique, faute de répondre simultanément aux trois conditions qu'il assigne à cette dernière, elle demeure néanmoins essentielle pour poser les problèmes relatifs aux nouvelles découvertes de la science et conduit à émettre des thèses qui peuvent être valables, mais que seules l'analyse génétique et l'analyse formalisante peuvent fonder. Il cite, comme exemple d'analyse directe, la réflexion de Poincaré sur le nombre et sur la structure de groupe.
Deux méthodes scientifiques
L'objet de l'épistémologie scientifique étant le problème de l'accroissement des connaissances, envisagées simultanément sous l'angle de leur genèse ou développement et de leur plus ou moins grande validité formelle, elle soulève à la fois des questions de normes (structures caractérisant des différents niveaux de connaissance) et des questions de faits (modes d'accession du sujet à ces différentes structures). Cette dualité des questions de normes et de faits conduit Piaget à assigner deux méthodes essentielles à l'épistémologie scientifique.
1. La méthode d'analyse logistique ou formalisante : elle prolonge l'analyse directe des processus de connaissance par une formalisation des structures intervenant dans la connaissance et par l'étude de leur validité formelle.
2. Les méthodes génétiques: elles étudient ces mêmes connaissances, mais sous l'angle de leur développement social ou historique (méthode historico-critique) et individuel (méthode psychogénétique).
La complémentarité de ces deux méthodes (formalisante et génétique) est liée au double aspect structural et génétique de la connaissance. En effet, dans la perspective constructiviste qui caractérise l'épistémologie piagétienne, toute structure constitue le résultat d'une genèse et toute genèse conduit à la formation de structures nouvelles. L'indissociabilité des structures et de leur genèse l’amène ainsi à doubler l'analyse de la validité formelle des structures de la connaissance par une analyse de la constitution de cette validité, c'est-à-dire du mode d'accession à ces structures.
L'analyse formalisante renvoie à la reconstruction logistique ou axiomatique des structures et à l'étude de leur généalogie formelle. Elle fait appel à la logique. L'analyse génétique renvoie à la reconstruction non plus axiomatique mais réelle des structures, ce qui revient à suivre les étapes psychogénétiques de leur élaboration de l'enfant à l'adulte. Piaget insiste beaucoup sur la nécessité de comparer les résultats de ces deux méthodes et notamment de confronter le fondamental du point de vue formel à l'élémentaire du point de vue génétique. L’analyse génétique permet alors de montrer comment les reconstructions axiomatiques et formalisantes que révèle l’analyse formalisante prolongent en fait les structures plus élémentaires de la pensée naturelle qui prennent elles-mêmes racines dans les coordinations générales de l'action. Dans une telle perspective, il existe donc une liaison étroite entre la logique, considérée comme une axiomatisation des structures de la pensée naturelle, et la psychologie qui analyse expérimentalement la genèse de ces structures.
©Marie-Françoise Legendre
Toute extrait de la présente présentation doit mentionner la source: Fondation Jean Piaget, Piaget et l'épistémologie par M.-F. Legendre
Les remarques, questions ou suggestons peuvent être envoyées à l'adresse: Marie-Françoise Legendre.
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Citations
Méthodes d'analyse directeNous appellerons méthodes d'analyse directe, les méthodes de l'épistémologie qui consistent, en présence d'un nouveau corps de doctrines scientifiques ou d'une crise entraînant la refonte de certains principes, à essayer de dégager par simple analyse réflexive les conditions de connaissance en jeu dans de tels événements. L.C.S., p. 64
(...) ces méthodes prolongent les grandes traditions de réflexion sur la science propres aux épistémologies classiques, et consistent essentiellement à affiner cette réflexion en la rendant solidaire des discussions provoquées à l'intérieur des sciences elles-mêmes par telle ou telle nouveauté significative quant à son caractère inattendu ou aux «crises» qu'elle déclenche (...). De telles analyses directes soulèvent inévitablement des problèmes, non seulement de formalisation (...) mais encore de genèse proprement dite (...): les méthodes d'analyse directe demeurent indispensables à deux points de vue. En premier lieu, ce sont elles qui posent et élucident les problèmes authentiques de la connaissance scientifique, que ni la formalisation ni l'étude génétique ne parviendraient à elles seules à aborder, puisqu'ils sont relatifs à la science qui se fait plus qu'à la connaissance déjà systématisée ou aux étapes antérieures déjà dépassées. En second lieu, pour autant que les examens génétiques et historico-critiques veulent être complets ils doivent se poursuivre jusqu'aux étapes actuelles et se prolongent alors nécessairement en analyses directes. L.C.S., pp., 66-67
Méthodes scientifiques de l'épistémologie génétique
L'étude de l'accroissement des connaissances suppose deux méthodes complémentaires, dont la solidarité constitue d'ailleurs un problème et ne saurait s'éprouver qu'au cours même de la recherche: l'analyse logistique et l'analyse historique ou génétique. P.E., p. 123.
(1) L'analyse logistique. Tout accroissement de connaissance scientifique suppose sans doute une démarche de la pensée, c'est-à-dire un raisonnement d'une forme ou d'une autre. On peut donc étudier cet accroissement sous l'angle des jugements et raisonnements qui l'ont rendu possible, et c'est ce qui permet l'analyse logistique ou axiomatique. P.E., p. 123
Mais il est clair que cette première méthode n'épuise pas tous les problèmes, car il subsiste la question du rôle du sujet dans le déroulement du processus cognitif. P.E., p. 124
(2) L'analyse logistique appelle donc, au lieu de la contredire, l'analyse génétique des notions, c'est-à-dire la seconde méthode de l'épistémologie scientifique. Cette seconde méthode est elle-même double, car le développement d'une notion scientifique, ou de manière générale, l'accroissement d'une connaissance, constitue un fait simultanément historique, donc sociologique, et mental ou psychologique. P.E. pp. 125-126.
On ne saurait exagérer à cet égard l'importance, pour l'épistémologie, de l'histoire des sciences, conçue non pas comme une histoire anecdotique, mais comme une historie de la pensée scientifique elle-même. C'est ce qu'ont bien compris les auteurs qui (...) ont appliqué au développement des sciences exactes ce que l'on a appelé la «méthode historico-critique» consistant précisément à juger de la portée réelle des notions par leur construction historique. P.E.,p. 126.
Ainsi l'épistémologie scientifique ou étude de l'accroissement des connaissances suppose un appel à la psychologie, en tant que prolongement nécessaire de l'analyse historico-critique (...) Une épistémologie scientifique, conçue comme une analyse des multiples processus cognitifs dans leur diversité, est comparable à une sorte d'anatomie comparée des structures de connaissance, qui confronterait les constructions intellectuelles les plus éloignées, dans les différents domaines de la science, pour en dégager les invariants et les transformations. P.E., p.129
Méthode d'analyse directe et méthode génétique
(...) la méthode d'analyse directe, tout en ayant le mérite de poser les problèmes et d'en esquisser les solutions à titre d'hypothèses plus ou moins probables, demeure tributaire de l'analyse génétique dès qu'il s'agit de vérification. Or, en reprenant les hypothèses en questions, cette dernière méthode les modifie de manière imprévue et aboutit en fait à une restructuration des problèmes initiaux, de telle sorte que l'idéal méthodologique d'une épistémologie scientifique est sans doute à chercher en un jeu de navette entre les analyses directes et génétiques, de même qu'entre toutes deux et l'analyse formalisante. L.C.S.., p. 7
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