Fondation Jean Piaget

Stade 2: Le nombre préopératoire

La correspondance terme à terme, le comptage et la quotité
Des nombres ordinaux et cardinaux empiriques
Les préopérations numériques


La correspondance terme à terme, le comptage et la quotité

Dans l’expérience des oeufs et des coquetiers, lorsque l’on lui demande de placer le même nombre d’oeufs qu’il y a de coquetiers, l’enfant du second stade recourt au procédé qui paraît le plus mathématique qui soit, à savoir la correspondance terme à terme, qui consiste à placer un oeuf en dessous de chaque coquetier (fig. 9; un film illustre quelques réponses typiques de ce stade, voir Sylviane et la conservation du nombre (stade 2)).

Est-ce à dire que cet enfant a pour autant acquis la notion mathématique de nombre, dont l’un des critères majeurs est évidemment la conservation et l’indépendance par rapport au positionnement spatial? Nullement. Il suffira en effet d’écarter les oeufs, ou de les resserrer, pour qu’il réponde de la même manière que l’enfant du premier stade en affirmant qu’il y en a plus (ou moins) que de coquetiers, parce que la ligne que forme ces oeufs est plus longue (ou plus courte) que la ligne formée par les autres objets.

Certains enfants, ou les mêmes enfants à d’autres moments de la discussion avec le psychologue, pourront être sensibles, non pas à la longueur de la ligne, mais au caractère plus ou moins compact des éléments rassemblés. Ils pourront ainsi affirmer que les éléments resserrés les uns contre les autres sont plus nombreux parce que, précisément, ils forment une masse plus dense.

On voit donc par là que la notion de correspondance terme à terme utilisée à ce stade n’a pas encore de signification purement numérique, puisque la véritable correspondance numérique est indépendante de la disposition spatiale des éléments reliés par elle.

Il n’empêche que l’usage de cette correspondance intuitive, en lieu et place de l’utilisation du critère de la longueur auquel recouraient les sujets moins avancés, signifie que les enfants de ce niveau procèdent spontanément à une multiplication intuitive des rapports de distance: ils "multiplient" le rapport égal de distance entre les deux premiers éléments de la série des coquetiers, ainsi que les deux premiers éléments de la série des oeufs, puis entre les deux suivants de chacune des deux séries, etc., et les rapports de "placés en face" (entre le premier élément de chaque série, puis le second, etc.).

La conduite du comptage

Il est vrai que les jeunes enfants qui ont déjà appris à compter les premiers chiffres peuvent recourir au procédé du comptage pour placer la même chose d’oeufs: ils peuvent compter les coquetiers, puis prendre les oeufs dans un tas en les comptant, avant de les placer sous les coquetiers.

Mais il suffira de leur poser le problème de la conservation pour découvrir que le recours à ce procédé ne signifie pas forcément que les enfants qui l’emploient aient construit la notion mathématique de nombre, qui implique la conservation des quantités numériques. Ces enfants pourront en effet, comme ceux qui recourent spontanément à la méthode de correspondance terme à terme, répondre par une non conservation lorsqu’on leur demande si, une fois écartés ou resserrés, il y a toujours la même chose d’oeufs que de coquetiers. Ou bien ils pourront, comme Sylviane dans le petit film signalé ci-dessus, faire en sorte que le comptage auquel ils recourent après coup aboutissent à un nombre qui correspondent à un jugement de non-conservation…

La conservation de la "quotité"

Les expériences conduites à ce sujet au Centre d’Epistémologie Génétique, par Gréco, ont d’ailleurs permis d’affiner les études plus anciennes de Piaget et Szeminska en montrant que certains enfants soutiennent à la fois que, par exemple, il y a plus d’oeufs que de coquetiers, parce que la ligne qu’ils forment est plus longue (ou que leur densité est plus grande), et que, pourtant, il y a "sept coquetiers" et "sept oeufs". La "quotité" des collections est conservée (l’enfant qui a compté sept oeufs continue à dire qu’il y en a sept, lorsqu’on écarte les oeufs), mais pas la quantité (EEG13).

S’agit-il simplement d’un apprentissage verbal? Probablement pas. Cette expérience suggère plutôt l’existence d’un début de différenciation entre la quantité numérique et l’extension spatiale (la longueur), mais d’une différenciation insuffisante, car liée à un apprentissage empirique. Il y a apparition de ce que l’on peut appeler des préopérations et des propriétés "protonumériques", mais qui ne sont pas encore complètement dissociées des préopérations et des propriétés spatiales (ce qui implique aussi, notons-le, l’impossibilité de réaliser des coordinations valides entre les domaines spatial et numérique).

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Des nombres ordinaux et cardinaux empiriques

Lorsque l’on demande à un enfant du second stade de construire un escalier avec des bâtons de longueurs différentes, puis qu’on lui pose le problème du nombre de marches franchies par une poupée se trouvant à tel ou tel échelon de cet escalier, on observe les résultats suivants.
    D’abord l’enfant de ce niveau sait construire cet escalier empiriquement et en tâtonnant (ses comportements ne sont donc pas guidés par le savoir opératoire propre à la logique des relations).

    Ensuite, pour autant qu’il ait déjà appris à "compter", cet enfant saura généralement calculer le nombre de bâtons jusqu’à celui désigné par le psychologue. De même il saura compter les bâtons venant après celui désigné, pour dire combien il reste d’étapes à franchir.
Pourtant le savoir mis en oeuvre reste également empirique, car il suffit de mélanger les bâtons et de reposer la question pour que les enfants ne sachent généralement plus comment répondre aux mêmes questions auxquelles ils avaient su répondre auparavant. Parfois ils donnent pourtant des solutions partiellement correctes.
    Dans les cas où, par exemple, la poupée n’est montée que de deux (ou trois) marches, ils disent bien que celle-ci est montée de deux (ou trois) marches. Mais si l’expérimentateur leur demande combien il reste de marches à franchir, ils énumèrent le nombre total de marches, et donnent ce nombre comme réponse, sans qu’ils aient l’idée de soustraire le nombre de marches déjà franchies par la poupée.
En bref, l’enfant de ce niveau ne parvient pas à regrouper et à concevoir en une totalité coordonnée l’ensemble des relations et des sous-collections en jeu dans une série d’une dizaine de bâtons.

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Les préopérations numériques

Concernant l’opération d’addition, l’enfant de ce niveau, à qui l’on demande si une collection de (4+4) haricots, c’est la même chose qu’une collection de (1+7), ou (2+6), etc., construite à partir de la première, commence, comme l’enfant du premier stade, par affirmer que, puisque sept haricots forment un gros paquet, alors il doit y avoir plus dans la seconde collection que dans la première.

Mais lorsque, soit spontanément, soit à la suite d’une remarque de l’expérimentateur, il considère la sous-collection d’un haricot, il peut changer d’avis et juger qu’il y a plus dans (4+4), parce que "un, c’est pas beaucoup", puis constater, en comparant successivement les sous-collections, que les différences se compensent, ce qui l’amène finalement à conclure l’égalité des deux collections.

On trouve donc chez ces enfants le comportement typique qui consiste à changer sa réponse en fonction de la centration qui est faite sur l’une ou l’autre des modifications introduites dans les quantités considérées, ainsi qu’à découvrir empiriquement la compensation des inégalités (JP41b, chap. , § 2). Il n’y a pas encore à strictement parler d’opérations arithmétiques, mais utilisation de préopérations "régulatoires" qui les annoncent.

En ce qui concerne la multiplication, l’enfant peut la découvrir alors qu’il cherche à résoudre les problèmes que lui pose le psychologue.

Lorsque, par exemple, il doit placer les marguerites, qu’il a mises en correspondance terme à terme avec dix vases, et les tulipes, également mises en correspondance avec les mêmes vases, une à une dans des pots, après avoir constaté que dix pots ne suffisent pas, il en déduit intuitivement qu’il en faudra dix de plus (fig. 10). Cet enfant n’a donc pas encore l’idée du "deux fois dix", mais il sait passer de "dix pots" à "dix pots plus dix pots".

Que cette découverte soit progressive et empirique, cela se vérifie par le fait que si une troisième collection entre en jeu, l’enfant ne généralise pas d’emblée à cette nouvelle situation ses constations et déductions intuitives antérieures (JP41b, chap. 9, § 3).

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La société, c’est l’ensemble des rapports sociaux. Or, parmi ceux-ci, deux types extrêmes peuvent être distingués : les rapports de contrainte, dont le propre est d’imposer de l’extérieur à l’individu un système de règles à contenu obligatoire, et les rapports de coopération, dont l’essence est de faire naître, à l’intérieur même des esprits, la conscience de normes idéales commandant à toutes les règles.

J. Piaget, Le Jugement moral chez l’enfant, 1932, p. 310