Fondation Jean Piaget

Environnement en psychologie


Une chose frappe lorsque l’on considère la psychologie élaborée par Piaget entre 1920 et 1980: son originalité, son autonomie par rapport aux autres grands courants de recherche psychologique de ce siècle. C’est un peu comme si la psychologie génétique avait surgi ex nihilo de l’esprit de l’auteur. Bien sûr une telle manière de voir est trompeuse. Piaget ayant tracé un nouveau chemin en psychologie scientifique, il est normal qu’il n’ait appris que peu de choses des psychologies construites par ailleurs. Mais il suffit de remonter à la racine, c’est-à-dire aux années de formation, ainsi qu’au tout début de la construction de la psychologie génétique pour s’apercevoir que cette psychologie se nourrit d’un certain nombre de notions et de conceptions qui proviennent de deux sources d’informations précieuses qui vont alimenter ses premières réflexions et enrichir son intuition.

La première source est interne et réside dans l’expérience psychologique personnelle. Il faut pourtant se garder d’accepter pour cette forme d’expérience ce que l’on refuse pour l’expérience externe. Elle est, elle aussi, liée à la construction d’un réseau de notions qui permettent d’assimiler intellectuellement, et même en partie de structurer réellement, l’expérience psychologique. La deuxième source est donc tout aussi importante et consiste dans le bagage conceptuel progressivement accumulé et organisé au cours de millénaires de constats et de réflexions sur la réalité psychologique. A ces deux sources, il conviendrait, pour être complet, d’ajouter l’extraordinaire collection de descriptions des conduites enfantines que Piaget et ses collaborateurs psychologues vont accumuler pendant des décennies. Le long résumé donné par ailleurs de sa psychologie suffit à montrer comment l’examen des réponses des enfants aux questions ou aux problèmes que leur posaient le psychologue et ses collaborateurs n’a jamais cessé denrichir la connaissance psychologique de l’auteur.

Le bagage conceptuel progressivement accumulé et organisé au cours de l’histoire de l’humanité, beaucoup plus important pour la psychologie que pour la science physique, peut à son tour se subdiviser en deux. Il y a d’abord tout ce qui, de ce bagage, est passé dans le sens commun. On sait au fond encore peu de choses de la façon dont un enfant acquiert peu à peu les notions psychologiques lui permettant de concevoir sa réalité psychologique et celle d’autrui. Il paraît évident que les échanges sociaux et l’appropriation des notions psychologiques contenues dans la culture joue un rôle important. Il est ainsi très vraisemblable que les échanges que l’enfant Piaget a pu avoir avec ses parents ou avec d’autres adultes, l’image que ceux-ci se sont fait de celui-ci, ou encore la lecture d’auteurs tels que Romain Rolland, ont en partie façonné une personnalité qui va marquer de son empreinte les futures théories psychologiques de l’auteur.

A cet apport culturel et aux expériences personnelles il convient ensuite d’ajouter les cours de psychologie et de philosophie suivis au gymnase, puis à l’université de Neuchâtel (mais là dessus nous savons peu de choses), ainsi que ce que lui ont apporté ses nombreuses lectures en psychologie et en philosophie, puis le bref apprentissage de la psychologie universitaire effectué entre 1919 et 1924, environ, d’abord à Zürich, puis surtout à Paris et à Genève, avec les lectures qui l’ont accompagné. Ce sont essentiellement les lectures que nous considérerons dans ce qui suit, faute de connaître le contenu exact des enseignements suivis par Piaget (encore que nous disposons du résumé et de la publication de quelques-uns des cours donnés par Janet au Collège de France et que nous pouvons ainsi nous faire une idée de l’apport de cet auteur). De plus nous ne donnerons qu’une image très partielle et partiale de l’environnement cognitif en interaction avec lequel Piaget a construit sa psychologie génétique (une description un peu plus complète peut être trouvée dans JJD84).

Ajoutons une dernière observation en ce qui concerne les rapports de Piaget avec son environnement cognitif. Contrairement à ce qui s’est passé sur le terrain de la biologie, où Piaget n’a jamais cessé d’emprunter de nouvelles notions à la science en train de se faire pour les assimiler et les intgrer à ses propres conceptions, sur le terrain de la psychologie et à partir des années trente, il ne retirera que très peu de bénéfices des notions et des conceptions élaborées par des chercheurs extérieurs à l’école genevoise. Cela ne signifie pourtant nullement qu’il se soit isolé de la psychologie en train de se faire. Son rôle dans l’union internationale de psychologie scientifique, ses contacts extrêmement nombreux avec d’autres psychologues montrent qu’il n’a jamais cessé d’entretenir des liens à la fois amicaux et de collaboration avec ces derniers.

Mais encore une fois, de par leurs racines, les interrogations et les conceptions de Piaget étaient trop originales pour qu’ils puissent se nourrir, comme il a toujours aimé le faire en épistémologie ou en biologie, de thèses et de notions autres que les siennes. Mais si ses échanges avec ses collègues n’ont jamais pu le faire dévier de convictions théoriques fondées sur la formation initiale de sa pensée psychologique comme sur les innombrables conduites d’enfants qu’il a analysées, elles n’ont pas été vaines, dans la mesure où elles lui ont permis de préciser davantage ses concepts, ses interprétations et ses explications psychologiques.

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La pensée biologique est aussi réaliste que la pensée mathématique est idéaliste. La déduction ne joue, en effet, qu’un rôle minimum dans la construction des connaissances biologiques, et cela dans la mesure où la réalité vivante est liée à une histoire. L’observation et l’expérimentation constituent ainsi les sources essentielles du savoir biologique et il ne vient à l’esprit d’aucun biologiste de considérer l’objet de ses recherches comme le produit de ses propres opérations mentales (sauf en ce qui concerne les coupures en partie conventionnelles de la classification).