Fondation Jean Piaget

Epistémologie de la sociologie

Les rapports de la psychologie et de la sociologie
Piaget et la sociologie
Piaget et l’épistémologie des sciences sociales


Les rapports de la psychologie et de la sociologie

Bien que Piaget ait consacré la plus grande partie de ses recherches expérimentales à l’étude du développement cognitif de l’enfant, la perspective qu’il adopte sur ce terrain, les problèmes qu’il cherche à résoudre à travers cette étude ne relèvent pas que de la seule psychologie.

A deux reprises, en 1950 d’abord, puis en 1965, le créateur de l’épistémologie génétique et le grand psychologue a avancé une thèse en apparence paradoxale, mais qui montre combien il serait erroné de réduire son oeuvre à une épistémologie psychologique au sens étroit du terme: «La psychologie de l’enfant – affirmait-t-il en 1950 – constitue un secteur de la sociologie, consacré à l’étude de la socialisation de l’individu, en même temps qu’un secteur de la psychologie» (JP50, III, p. 195). Et l’on ferait fausse route en interprétant la notion de socialisation en un sens rousseauiste, c’est-à-dire en l’entendant comme impliquant une primauté, génétique et non plus morale comme chez Rousseau, du psychologique sur le sociologique.

En 1965, il complétera l’énoncé précédent par l’affirmation selon laquelle «la psychologie génétique [serait] en réalité aussi sociologique que psychologique» (JP65a, p. 10).

Piaget s’est intéressé à l’enfant en tant qu’être capable de se décentrer tant sur le plan intellectuel que moral; il s’est également, et surtout, intéressé à la genèse des notions. Dans les deux cas il lui paraît évident que le facteur social est aussi essentiel que les facteurs psychologique et biologique pour rendre compte de ce double développement, de l’enfant d’un côté, des connaissances de l’autre. De plus ces facteurs sont si intriqués les uns dans les autres qu’il est un peu artificiel de les distinguer.

L’une des meilleures illustrations de l’égale importance, et même de la profonde communauté qu’il entrevoit, à travers leurs différences, entre les réalités biologique, psychologique et sociale, réside dans la notion de "coordination des actions", qui contient en germe la totalité de ses thèses psychologiques, sociologiques et épistémologiques, qu’elle relie par ailleurs à la biologie.

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Piaget et la sociologie

Convaincu dès ses travaux d’adolescence que l’être humain est, dès sa naissance, un être interagissant tant avec les objets du monde physique qu’avec les êtres qui lui sont proches, Piaget n’a jamais cessé de s’intéresser aux différentes sciences sociales.

La connaissance approfondie qu’il acquiert non seulement de la psychologie, mais aussi de la sociologie, de la linguistique, des sciences juridiques, etc., apparaît très tôt, dans "Recherche" déjà (JP18), mais surtout dans l’étude sur le jugement moral chez l’enfant (JP32), ainsi que dans quelques écrits sur les rapports entre l’individu et la société ou entre la "logique génétique et la sociologie" qui, avec les recherches sur la pensée et de langage du début des années vingt, forment visiblement la base d’une psychologie de l’enfant relevant aussi bien d’une étude de la socialisation de l’enfant, donc de la sociologie, que de la psychologie.

La qualité et la finesse de ces contributions sur le jugement moral et sur la socialisation de la pensée de l’enfant, autant probablement que la renommée déjà acquise et les circonstances du moment, sont telles que Piaget est nommé d’office, en 1939 et sans qu’il se soit porté candidat, à la chaire de sociologie de l’université de Genève. Là encore il va saisir l’opportunité que lui offre cette nomination pour approfondir encore davantage sa formation en sociologie, se faisant même sociologue, puisqu’il y était en quelque sorte contraint, en rédigeant un certain nombre d’écrits de sociologie théorique.

En bref, l’intérêt qu’il porte à la sociologie, les travaux, certes théoriques, qu’il consacre à cette discipline, la certitude que la connaissance comporte nécessairement une dimension sociale, sans même compter la place que certains philosophes des sciences réservent à la sociologie dans le système des sciences, tout ceci permet de comprendre que Piaget ait pris soin de s’engager de l’intérieur, c’est-à-dire du point de vue de l’épistémologie interne aux problèmes de l’épistémologie de la sociologie.

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Piaget et l’épistémologie des sciences sociales

La valeur des réflexions apportées par Piaget en épistémologie de la sociologie et en épistémologie de la psychologie seront telles que lorsque l’UNESCO se proposera de faire le point sur les tendances de la recherche dans les sciences sociales, c’est lui qui se chargera non seulement d’écrire le chapitre sur la psychologie, mais également le chapitre d’introduction sur "La situation des sciences de l’homme dans le système des sciences" (JP70_4; le chapitre sur la sociologie est rédigé par P. Lazarsfeld).

Cela sera pour lui l’occasion de proposer une classification des sciences de l’homme en trois groupes pouvant se recouvrir: les sciences visant la recherche de lois (la psychologie, l’économie, etc.), les sciences historiques et les sciences juridiques, auxquelles s’ajoutent les "disciplines philosophiques" (dans lesquelles il est moins question de connaissance que de sagesse). Notons aussi que dans le même ouvrage Piaget se chargera d’un troisième chapitre portant sur les "Problèmes généraux de la recherche interdisciplinaire et mécanismes communs", dans lequel il se placera à un point de vue suffisamment abstrait pour percevoir les liens existant entre l’ensemble des sciences sociales (JP70_6).

Comment Piaget a-t-il abordé la sociologie et les questions épistémologiques qu’elle soulève? De la même façon qu’il avait abordé la psychologie à partir de la biologie, de ses notions et de ses problèmes généraux. Plus que tout autre, il n’a jamais cessé de considérer ses objets d’étude, et la sociologie en était un, en respectant la règle comtienne qui veut que l’intelligibilité en sciences biologiques et sociales n’est possible que si l’on part du tout pour aller vers les parties.

Pour lui, qui ne faisait pas preuve d’originalité sur ce point, il y a une profonde communauté de problèmes et de notions explicatives entre la biologie, la psychologie et la sociologie. Toutes trois sont des sciences des organisations. Si cette intuition est correcte, on comprend sans peine la sagacité dont Piaget a su faire preuve sur le terrain de la sociologie.

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[…] le caractère le plus remarquable de la connaissance humaine quant à son mode de formation, comparé aux transformations évolutives de l’organisme et aux formes de connaissance accessibles à l’animal, est sa nature collective autant qu’individuelle. L’ébauche d’un tel caractère s’observe certes chez plusieurs espèces animales et en particulier le Chimpanzé. Cependant la nouveauté chez l’homme est que la transmission extérieure ou éducative (par opposition à la transmission héréditaire ou interne de l’instinct) a abouti à une organisation telle qu’elle a pu engendrer des civilisations.