Fondation Jean Piaget

L’hétéronomie morale

Un point de méthode
Le réalisme moral
Responsabilité "objective" et sanction
Une morale hétéronome


Un point de méthode

Pour étudier le développement du jugement moral, Piaget et ses collaborateurs soumettent à l’enfant de petites histoires qui concernent, par exemple, la notion qu’il se fait du mensonge, ou du juste et de l’injuste.

Les histoires créées pour analyser la notion du mensonge mettent en scène des personnages qui énoncent soit des affirmations simplement erronées (ce que le personnage en question ne sait pas), aux conséquences plus ou moins fâcheuses, soit des mensonges d’intentions variées, et dont certains ont des conséquences plus ou moins néfastes.

Quant aux histoires ayant pour objet de cerner la notion que les enfants se font du juste et de l’injuste, il s’agit de situations dans lesquelles des personnages sont sanctionnés à tort ou à raison pour avoir effectué une action aux conséquences là aussi plus ou moins fâcheuses.

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Le réalisme moral

Confrontés aux situations destinées à dégager la notion qu’ils se font du mensonge, les enfants du premier des deux grands stades caractéristiques du développement moral montrent une tendance systématique à ne pas juger l’importance du mensonge en fonction de l’intention de celui qui l’énonce, mais en fonction des conséquences auxquelles aboutit son énoncé.
    Par exemple le sujet de ce niveau pourra estimer plus "vilain" le mensonge d’un enfant qui, dans une histoire, dit à sa maman qu’il a cassé les dix oeufs qu’il portait, non pas parce qu’il les a laissé tomber en jouant avec, mais parce qu’un chien l’a attaqué, que le même mensonge d’un autre enfant qui, lui, n’a cassé qu’un oeuf.

    De même, dans les histoires où ce n’est pas un mensonge, mais simplement une affirmation erronée qui est en jeu, les enfants de ce stade jugeront plus gravement responsables les personnages dont les affirmations ont eu des effets plus néfastes pour une autre personne de l’histoire.
Piaget appelle "réalisme moral" cette façon qu’ont les enfants de ce stade de juger la valeur d’une action ou d’une affirmation non pas en raison de l’intention subjective, mais en fonction du résultat objectif.

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Responsabilité "objective" et sanction

Des histoires, qui mettent en scène un acte maladroit dont les conséquences sont plus ou moins fâcheuses, confirment le réalisme moral des enfants du premier stade. La responsabilité d’une personne ne dépend pas (ou pas seulement) de l’intention qui préside à son acte, mais essentiellement de son effet. Toute chose étant égale par ailleurs, il est moralement plus répréhensible de casser dix assiettes qu’une seule. Il s’agit d’une responsabilité dite "objective" (au sens alors prékantien du terme: c’est dans l’objet, dans ce qui échappe à la subjectivité, que sont recherchées les bases du jugement de responsabilité).

Dès lors on peut s’attendre à ce que, comme l’ancienne justice sociale qui n’hésitait pas à rendre automatiquement responsable d’une action fâcheuse un homme, un enfant, un animal supposé avoir commis cet acte, le sujet de ce stade trouvera normal le comportement d’un parent qui sanctionne plus fortement l’action d’un enfant que celle d’un autre sous le simple prétexte que la première a eu des conséquences plus néfastes que la seconde.
    C’est ce que confirment les commentaires apportés par les enfants interrogés par Piaget et ses collaborateurs aux histoires de sanction dans lesquelles on voit, par exemple, un personnage qui a renversé dix pots de confiture être puni davantage qu’un autre personnage qui en a renversé seulement deux, alors que les actions ne diffèrent que par leur conséquence.

    De même un enfant de ce niveau admettra sans broncher, ou même suggérera que, lorsque dans l’une des histoires un élève d’une classe a fait une bêtise (cassé une vitre par exemple), toute la classe soit punie parce que personne n’a voulu le dénoncer. Le même enfant pourra même affirmer qu’un élève, pourtant absent lorsque la bêtise a été commise, doit lui aussi être puni avec les autres, «puisque c’est toute la classe qui doit être punie» (JP32, p. 190).
Face à d’autres histoires dans lesquelles il est question de sanctions dont l’enfant doit apprécier le caractère juste ou injuste, le sujet de ce stade pourra considérer qu’il vaut mieux châtier fortement un personnage qui a accompli une mauvaise action, cela «afin qu’il ne recommence plus», plutôt qu’adopter un comportement qui reviendrait à lui faire prendre conscience de la rupture de la coopération sociale entraînée par son action.

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Une morale hétéronome

L’ensemble des réponses apportées par les enfants aux histoires variées qu’on leur soumet converge donc pour montrer l’existence d’un premier stade dans lequel le mensonge, l’injustice, la sanction sont jugés par des critères qui ne sont pas liés à l’intention du sujet, mais qui dépendent soit du résultat des actions, soit du prestige de l’autorité qui juge l’acte.

La morale de ce stade paraît bien ainsi être hétéronome, dans la mesure où c’est toujours à l’extérieur de l’auteur de l’acte que sont recherchés les critères permettant de juger la valeur morale d’une action ou d’une affirmation.

Cela dit, dans quelle mesure ces résultats convergents sont-ils généralisables aux situations non factices de la vie de l’enfant? Tout en étant très prudent à ce sujet, Piaget croit cette généralisation possible, mais en y appliquant le même type de décalage que celui constaté à propos du jeu de billes.

Alors que bon nombre des enfants de huit à neuf ans, interrogés sur des histoires fictives, formulent des réponses qui reposent sur une morale hétéronome, il est vraisemblable que, placés dans des situations de la vie réelle où des injustices sont commises, les mêmes enfants sauront faire preuve de sentiments moraux plus avancés, qui relèvent de la morale autonome.

Si l’on admet l’hypothèse du décalage entre l’action et la conscience réfléchie des règles, hypothèse confortée par l’enquête sur le jeu de billes, les résultats obtenus en demandant aux enfants de juger des situations fictives offrent une image plausible des sentiments et des jugements moraux que les mêmes enfants peuvent éprouver ou formuler dans leur vie de tous les jours.

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[…] La fécondité du raisonnement mathématique dépasse sans commune mesure celle du raisonnement logique pour cette raison bien simple qu’au lieu d’emboîter sans plus la partie dans le tout ou de ne relier les parties entre elles que par complémentarité ou intersection (celle-ci étant à nouveau une inclusion), le raisonnement mathématique construit un ensemble toujours plus riche de relations entre les parties, considérées en elles-mêmes et sans passer par l’intermédiaire du tout.