Fondation Jean Piaget

Les effets de champ


Les "effets de champ" résultent des «interactions immédiates entre éléments perçus simultanément dans un même champ actuel de centration» perceptive (JP61, p. 172). Une telle centration est une fixation oculaire de durée assez brève «pour exclure tout déplacement molaire du regard» (id.).

Les effets liés à une centration sont étudiés en présentant aux sujets en un temps très court une figure. Plusieurs situations expérimentales étudiées par les spécialistes de la perception démontrent l’existence d’illusions perceptives primaires, dont par exemple celle de Müller-Lyer, qui résultent de telles centrations du regard (fig. 47).

En reprenant l’étude de ces illusions, Piaget va chercher, d’une part, à en fournir une explication unique, et d’autre part à mettre en évidence leurs éventuelles modifications en fonction de l’âge des sujets (et aussi en fonction d’un apprentissage se déroulant au sein d’une seule séance).
    Soit par exemple l’illusion de Müller-Lyer, dont Piaget et ses collaborateurs, montrent qu’elle se réduit en fait à l’illusion du trapèze (fig. 48). Soit encore une forme simplifiée de l’illusion également bien connue de Delboeuf, dans laquelle un cercle A est égal à un cercle A’, mais inscrit dans un cercle B plus grand dont il partage le centre, alors que A’ est extérieur à B (fig. 49). Pour quelle raison le petit côté du trapèze ou bien le cercle A sont-ils surestimés, l’un par rapport au grand côté du trapèze, l’autre par rapport au cercle A’? C’est que dans un cas comme dans l’autre les éléments surestimés sont centrés par le regard. Mais cette explication est trop globale pour satisfaire Piaget.
Lors d’une centration, il intervient des micro-mouvements très rapides des yeux, ou encore des possibilités de couplage rétinien entre les parties de la figure qui entrent dans le champ de centration. Piaget va dès lors faire l’hypothèse qu’une telle centration se traduit par des probabilités différentes de rencontre entre le focus du regard et certaines parties de la figure regardée selon que telle ou telle partie de la figure est centrée.

Une explication probabiliste

Dans les illusions perceptives, ce sont en général deux lignes L1 et L2 qui sont mises en rapport l’une avec l’autre, et dont l’une est surestime. Ce qui explique cette surestimation est l’existence d’un déséquilibre des fréquences de rencontre entre les éléments centrés de L1 et des éléments centrés de L2, ces rencontres étant de plus couplées les unes avec les autres (cela toujours au cours d’une seule centration molaire).

Cette hypothèse s’exprime en un modèle probabiliste détaillé, qui comprend, en plus des fréquences de rencontres et leur couplage, des facteurs secondaires, tels que la longueur maximale de la figure (égale dans le cas de l’illusion du trapèze avec la longueur de la ligne L la plus longue).

Muni de ce modèle peu à peu construit au fil des années, Piaget va pouvoir multiplier les expériences dans le but d’en démontrer la généralité. Ce modèle a pu fasciner son auteur pour deux raisons:
    – d’une part c’est la première fois que l’on parvenait à donner une explication unitaire des illusions perceptives (mais ce modèle s’applique à n’importe quelle perception visuelle);

    – d’autre part les micro-activités perceptives en jeu, les rencontres et les couplages, apparaissent comme une préfiguration des activités intellectuelles qui ont été mises en évidence dans l’étude du développement de l’intelligence représentative.
Cette correspondance entre la perception et l’intelligence sera d’ailleurs renforcée par le résultat des expériences portant sur les activités perceptives.

Effet du développement cognitif sur les illusions perceptives

Le deuxième résultat important des recherches sur les effets de champ sera de montrer que ces effets, ou en d’autres termes les "illusions perceptives primaires" diminuent avec l’âge. Un adulte auquel on montre la figure de Müller-Lyer surestimera moins le petit côté que ne le fera l’enfant. C’est alors qu’interviennent les activités perceptives secondaire, c’est-à-dire les activités lors desquelles il y a déplacement du champ de centration.

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[…] qu’il s’agisse d’un bébé de dix mois découvrant la permanence des objets ou d’Einstein en personne construisant ses théories, le sujet n’a besoin ni du philosophe […] ni du psychologue pour l’aider à raisonner…

J. Piaget, Introduction à l'épistémologie génétique., 1973, vol. 1, préface de la deuxième édition, p. 8-9