Fondation Jean Piaget

Chapitres de 1941 à 1950



1941 (avec A. Szeminska).
La genèse du nombre chez l'enfant.
Chap.2: La conservation des quantités discontinues et ses relations avec la correspondance biunivoque…
Texte PDF mis à disposition le 06.05.2010
 - Présentation
[Texte de présentation (version 6 mai 2010).]

Ce chapitre montre comment le procédé de correspondance terme à terme ou binunivoque entre les éléments de deux collections tend à l'emporter progressivement sur le procédé de comparaison de quantités discrètes basé sur la lecture perceptive de l'espace occupé par les éléments des deux collections lorsqu'il s'agit de juger de la conservation ou non de de ces quantités après modification de forme des collections.

Il décrit les trois grandes stades (1. jugement de non-conservation des quantités numériques, 2. oscillation du jugement, 3. jugement de conservation des quantités numériques) par lesquels passe l'enfant pour acquérir une notion de nombre indépendante des caractéristiques spatiales des collections considérées.

1942.
Classes, relations et nombres. Essai sur les groupements de la logistique et sur la réversibilité de la pensée.
 Avant-propos. Introduction: Logistique et psychologie de la pensée
Texte PDF mis à disposition le 02.10.2007
 - Présentation
Dans son Avant-propos et dans son Introduction, Piaget expose la conception qu'il se fait des rapports entre la logique, ou la "logistique", en tant que "reconstruction axiomatique de la raison" ou de la "pensée vraie", et la psychologie en tant qu'étude expérimentale du développement de la pensée logique.

1942.
Classes, relations et nombres. Essai sur les groupements de la logistique et sur la réversibilité de la pensée.
 Chapitre I: Classification des opérations logiques élémentaires réversibles en extension
Texte PDF mis à disposition le 02.10.2007
 - Présentation
Ce chapite expose le résultat du travail de classification et de modélisation des opérations logiques de la pensée naturelle réalisé par Piaget en synergie avec ses nombreuses enquêtes effectuées sur la psychogenèse de la pensée logico-mathématique de l'enfant. Il contient des informations précieuses qui permettent de mieux cerner ce que l'auteur a à l'esprit lorsqu'll distingue, par exemple, la logique des classes (basée sur les relations d'équivalence) de la logique des relations (basée sur les relations asymétriques).

Piaget distingue 8 opérations élémentaires que la pensée logique concrète peut effectuer soit sur des classes soit sur des relations pour composer de nouvelles classes ou de nouvelles relations. 4 opérations de base portent sur les classes: (1) addition simple des classes (par exemple les vertébrés et les non-vertébrés, les animaux et les non-animaux, etc.), qui aboutit à une relation hiérarchique des classes (animaux, être vivants, etc.), (2) addition secondaire des classes, qui permet de composer des sous-classes vicariantes au sein d'une même classe (exemple: les non-insectes moins les vertébrés plus les insectes = les invertébrés), (3) multiplication bi-univoque des classes (qui permet de composer une classe telle que celle des invertébrés aquatiques), (4) multiplication co-univoque des classes (qui croise les éléments d'une classe avec la série ordonnée des emboîtements de cette classe; par exemple, parmi un ensemble indistinct de frères, réunir ceux qui ont le même père, ceux qui ont le même grand-père mais pas le même père, etc.). Quant aux quatre autres opérations, deux concernent l'addition simple et l'addition secondaire des relations asymétriques, la troisième la multiplication bi-univoque d'une série de relations asymétriques par une autre, et la quatrième, la multiplication co-univoque d'une série de relations asymétriques par les suites de relations symétriques propres à chaque rang de la série de relations asymétriques. Cette dernière opération est illustrée par le croisement des relations verticales (père, grand-père, etc.) et des relations horizontales (frères, cousins, etc.) de parenté.

Le travail qu'effectue ici Piaget – à savoir la classification des opérations logiques élémentaires – s'apparente à celui qu'il a réalisé dans ses années de jeunesse pour classer très méthodiquement les variétés de mollusques peuplant la Suisse romande.

1942.
Classes, relations et nombres. Essai sur les groupements de la logistique et sur la réversibilité de la pensée.
 Chapitre II: Le groupement préliminaire des équivalences pures (égalités)
Texte PDF mis à disposition le 02.10.2007
 - Présentation
Ce groupement a un statut particulier par rapport aux 8 autres groupements exposés dans cet ouvrage. Il est à la base de tous les 8 autres groupements, puisque chacun de ceux-ci reposent sur des équivalences ou des égalités. Mais d'autre part, il ne prend de signification qu'à titre de sous-groupement de chacun des 8 autres, car l'opération de substitution qui le caractérise ne prend sa pleine signification que par rapport à chacune des opérations additives ou multiplicatives de 4 groupements de classes et des 4 groupements de relations.

1942.
Classes, relations et nombres. Essai sur les groupements de la logistique et sur la réversibilité de la pensée.
 Chapitre III: Le groupement des additions de classes (groupement I)
Texte PDF mis à disposition le 15.10.2007
 - Présentation
Piaget modélise dans ce chapitre le groupement des opérations qui intervient lorsque, par exemple, on construit par additions successives un genre zoologique (par exemple les Chats) à partir d'une espèce (le Chat domestique) et de son complément (les Chats non domestiques), puis une famille (les Félins) à partir de ce genre et de son complèment (les Félins non Chats), puis un ordre zoologique (les Carnassiers, à partir des Félins et des Carnassiers non Félins),etc., puis, après que l'on a ainsi construit cet ordre zoologique, on en exclut l'espèce des Chats domestiques, ce qui équivaut à exclure non seulement les Chats non domestiques, mais aussi les Félins non Chats, ainsi que les Carnassiers non Félins.

Cet exemple, extrait de ce troisième chapitre de Classes, relations et nombres, n'est pas gratuit. Il est un indice de la démarche de pensée que Piaget a peut-être suivie pour aboutir aux modèles de groupement exposés dans cet ouvrage et les articles qui l'ont préparé – à savoir la mise en œuvre d'un processus d'abstraction réfléchissante sur sa propre activité en taxonomie biologique. Une fois abstrait, chacun de ces groupements peut alors donner lieu à une étude purement algébrique ou logistique de ses lois ou règles de composition.

1942.
Classes, relations et nombres. Essai sur les groupements de la logistique et sur la réversibilité de la pensée.
 Chapitre IV: Le groupement de l'addition secondaire des classes (groupement II)
Texte PDF mis à disposition le 29.10.2007
 - Présentation
Ce chapitre traite de l'addition (et de la soustraction) des classes secondaires en tant qu'opérations complétant la simple addition (et soustraction) de classes (ou inclusion logique) modélisée dans le précédent chapitre. Une esquisse d'illustration concrète est donné par Piaget pour montrer la pertinence psychologique de cette opération. Dans la classification naturelle des espèces biologiques, la découverte d'une nouvelle espèce, comme par exemple l'Ornithorynque, implique une modification de la classification jusqu'alors admise. L'Ornithorynque est reconnu comme un nouvel animal qui appartient certes à la classe zoologique des Mammifères, mais qui n'appartient à aucun des ordres déjà connus de Mammifères. La découverte de cette supposée nouvelle espèce identifiable à aucune des espèces à ce jour connues entraîne donc la création non seulement de cette nouvelle espèce, mais aussi d'un nouveau genre dans lequel l'inclure (qui se définit alors comme autre que tous les genres de même famille jusqu'alors connus), d'une nouvelle famille dans laquelle inclure ce genre (nouvelle famille autre que toutes les familles jusqu'alors connues), et donc d'un nouvel ordre de Mammifère dans laquel inclure cette nouvelle famille. L'espèce "Ornithorynque" forme ainsi un groupement vicariant avec les autres espèces de Mammifères déjà connues; le genre dans laquelle elle est incluse forme alors un groupement vicariant avec tous les autres genres de Mammifères; la famille dans laquelle est incluse ce genre forme alors un groupement vicariant avec toutes les autres familles de Mammifères; enfin, l'ordre des Monotrèmes dans lequel est incluse cette famille forme un groupement vicariant avec tous les autres ordres de Mammifères. Le regroupement de tous ces groupements propre à la classification naturelle des Mammifères constitue une illustration des opérations modélisées au moyen du groupement logique de l'addition secondaire des classes dont ce chapitre analyse et expose les lois de composition.

Comme dans le chapitre 3 et comme dans les chapitres suivants, si ce qui est au cœur du travail de Piaget est bien de dégager, par "modélisation logistique", une nouvelle forme algébrique plus complexe de compositions des opérations additives en jeu dans l'établissement d'une classification hiérarchique quelconque, le fait que Piaget s'appuie sur le travail effectif que peut réaliser le zoologue lorsqu'il construit une classification hiérarchique des formes vivantes permet au lecteur de "percevoir", au-delà des équations algébriques formelles, cette logique concrète propre à un certain niveau de développement ou d'évolution de la pensée humaine.

1942.
Classes, relations et nombres. Essai sur les groupements de la logistique et sur la réversibilité de la pensée.
 Chapitre V: Le groupement de la multiplication bi-univoque des classes (groupement III)
Texte PDF mis à disposition le 15.11.2007
 - Présentation
Piaget symbolise dans ce chapitre les opérations qui interviennent lorsque, après avoir construit par addition simple (groupement I) n classifications hiérachiques de classes, on multiplie toutes ces suites de classes pour trouver ou définir les éléments qui appartiennent à toutes les classes résultant de cette multiplication (par exemple, les filles genevoises, les filles suissesse, les filles européennes... ainsi que les garçons genevois, les garçons suisses, les garçons européens..., etc), certaines des classes résultant de cette multiplication pouvant être vides – ce qui dans cet exemple n'est bien sûr pas le cas! (Dans cet esquisse d'exemple, les classes de filles qualifiées de genevoises, de suissesse, d'européennes etc., peuvent être mises en correspondance bi-univoque avec les classes de garçons qualifiés de genevois, de suisses, d'européens, etc.; et réciproquement pour les classes de garçons genevois, suisses, etc. par rapport aux classes de filles genevoises, suissesse, etc.)

Il résulte de l'analyse réalisée par Piaget une algèbre munie de règles qui permettent d'engendrer de manière quasi aveugle l'ensemble des classes résultant d'une telle multiplication de suites de classes préalablement construites par addition logique, et qui permet également de se faire une plus juste idée de l'activité intellectuelle que peut mettre en oeuvre un enfant vers l'âge de 8-9 ans.

1942.
Classes, relations et nombres. Essai sur les groupements de la logistique et sur la réversibilité de la pensée.
 Chapitre VI: Le groupement de la multiplication co-univoque des classes (groupement IV)
Texte PDF mis à disposition le 18.01.2008
 - Présentation
Ce chapitre étudie et modélise les emboîtements de classes qui résultent de relations co-univoques, par exemple les relations de parenté à la fois verticales (relation de père à fils, de grand-père à petit-fils, etc.) et horizontales (les frères, les cousins germains, les cousins issus de germains, etc.); mais aussi les emboîtements qui résultent de la multiplication d'une suite d'emboîtements par une autre ordonnée selon le principe des additions secondaires (groupement II).

1942.
Classes, relations et nombres. Essai sur les groupements de la logistique et sur la réversibilité de la pensée.
 Chapitre VII: Le groupement des relations asymétriques
Texte PDF mis à disposition le 18.01.2008
 - Présentation
Une relation asymétrique a pour caractéristique d'engendrer non pas des similitudes entre objets comparés, mais des différences. Si une seule relation asymétrique permet de comparer et d'ordonner de manière univoque un ensemble d'objets, ceux-ci se laissent ranger sous la forme d'une série. Le groupement des relations asymétriques se caractérise alors par un calcul purement logique ou intensif d'équations composées de relations asymétriques ou de différences (logiques ou intensives et non pas arithmétiques) entre paires d'objets comparés (et comparables du point de vue de la relation asymétrique générale guidant l'activité comparative). Ce calcul compose (par addition ou soustraction de leurs éléments selon des règles bien déterminées) des égalités telles que la suivante: (A > B) + (B > C) = (A > C). Par exemple, si nous désignons par a la différence entre A et B, par a' la différence entre B et C, par b la différence entre A et C, par b' celle entre C et D, et c celle entre A et D, on peut en déduire que a + a' + b' = c (ce qui est une évidence, mais qui n'est accessible de manière proprement opératoire que par des enfants de 6 ans environ). Enfin, alors que les additions et soustractions de classes reviennent à inclure des sous-classes dans une classe ou à exclure des sous-classes d'une classe selon certaines règles, les additions et soustractions de relations asymétriques ou de différences peuvent être interprétées comme le déplacement dans un sens positif ou négatif d'un terme à l'autre entre les termes ordonnés par la relation asymétrique générale, cela sans aucune considération métrique (dans une sériation de trois termes, soustraire la différence entre le deuxième et le troisième conduit à revenir du troisième terme au deuxième).

Sur le plan épistémologique, l'examen logistique par Piaget de ce calcul logique et de ses règles le conduit à mettre en évidence la particularité (= absence de la propriété de vicariance des éléments composant une série hiérarchique) de ce groupement additif des relations asymétriques par opposition au groupement additif des classes (et notamment du groupement de l'addition secondaire des classes); cet examen le conduit ainsi à préparer les arguments qui permettront de comprendre dans le détail comment le nombre opératoire et ses propriétés naissent de la fusion des propriétés de classe et des relation exposées dans les chapitres 3 à 10 de "Classes, relations et nombres".

Sur le plan psychologique, le même examen permet, grâce à une meilleure compréhension de la logique des relations asymétriques, de mieux cerner les opérations logiques utilisées par les enfants confrontés à des tâches de sériation (telles que celles proposées dans des tests d'intelligence).

Sur le plan pédagogique, on voit tout l'intérêt qu'il y a d'offrir aux jeunes enfants des situations dans lesquelles ils peuvent exercer des activités ordinales à partir desquelles ils pourront construire, par abstraction réfléchissante, les groupements de sériation d'objets.

1942.
Classes, relations et nombres. Essai sur les groupements de la logistique et sur la réversibilité de la pensée.
 Chapitre VIII: Le groupement de l'addition secondaire des relations symétriques
Texte PDF mis à disposition le 29.01.2008

1942.
Classes, relations et nombres. Essai sur les groupements de la logistique et sur la réversibilité de la pensée.
 Chapitre IX: Le groupement de la multiplication bi-univoque des relations
Texte PDF mis à disposition le 04.02.2008
 - Présentation
Sont modélisées dans ce chapitre les opérations qui permettent de relier entre eux les termes ordonnés selon deux relations asymétriques ou plus (par exemple des objets de poids et de volumes différents, considérés d'un point de vue purement qualitatif ou logique et non pas métrique). Soulignons en passant une importante remarque qui concerne la construction des opérations de ce groupement comme celles des sept autres groupements. Piaget observe (p. 157) que "les opérations des différents groupements se tiennent entre elles", ce qui implique que les constructions comme les fonctionnements effectifs des différents regroupements d'objets concrets en système de classes ou de relations s'appuient les uns sur les autres.

1942.
Classes, relations et nombres. Essai sur les groupements de la logistique et sur la réversibilité de la pensée.
 Chapitre X: Le groupement de la multiplication co-univoque des relations
Texte PDF mis à disposition le 08.02.2008
 - Présentation
[Modification FJP 20 avril 2012: nous avons légèrement retouché la feuille 5 de ce chapitre; la substitution de "C" par "B" annoncée en note au bas de la page 183 de ce chapitre n'avait pas été introduite dans la version mise sur internet en février 2008.]

Ce chapitre modélise les relations multiplicatives qui peuvent être établies entre les relations asymétriques d'une suite additive simple de relations par les relations symétriques de suites additives secondaires. Ce sont les relations qui existent entre, par exemple, la filiation directe (le fils, le petit-fils, l'arrière-petit-fils, etc., c'est-à-dire l'arrière-petit-fils, son père, son grand-père, son arrière-grand-père, etc.) et les relations du type: avoir le même grand-père que X mais pas le même père (donc être cousin-germain). En multipliant de telle relation, on peut penser un lien de parenté tel qu'être le père du cousin-germain de Y). Autre exemple: ce type de multiplication des relations permet de comprendre que "si A est le grand-père du cousin issu de germains de B, alors il est le frère du grand-père de B", mais aussi que "B est le petit-fils du frère de A". Dernier exemple, le symbolisme adopté par Piaget permet de représenter le fait que "A, grand-père des cousins-germains de B" est aussi le grand-père de B. Des règles de calcul permettent alors de circuler dans l'arbre des relations verticales et horizontales qui relient tous les descendants d'un même ancêtre, à quelque distance que ce soit, ou de relier les uns aux autres tous les descendants d'un groupe de frères, etc.

Ici encore, on se représentera d'autant plus aisément (ce qui n'est pas chose aisée) la modélisation de Piaget si l'on applique Piaget à lui-même et que l'on fait l'hypothèse que le symbolisme choisi découle d'un travail d'abstraction réfléchissante que l'auteur fait sur sa propre activité de pensée lorsqu'il s'efforce de saisir les relations de parenté qui peuvent exister entre des membres plus ou moins éloignés d'une même famille. Ce symbolisme reflète alors assez directement les compositions de relations reliant les membres d'une même famille à travers les générations, ainsi que les équivalences possibles entre les manières de relier deux membres plus ou moins éloignées (ou les chemins à parcourir pour relier ces membres dans l'arbre représentant la totalité des relations de parenté possible pour les descendants d'une fratrie).

Ce groupement particulièrement complexe, qui clôt le travail de modélisation de la logique des classes et des relations révèle comment, dans les faits, les opérations de classe et de relation s'enchevêtrent dans le fonctionnement réel de la pensée (les relations symétriques unissent des individus appartenant à une même classe qui elle-même se définit en fonction des relations asymétriques, par exemple la relation qui unit les cousins germains au même grand-père, etc.). C'est la raison pour laquelle la construction des différents groupements se fait en synergie et qu'il faut attendre l'âge de 9-10 ans pour que la totalité des opérations en jeu dans les différents groupements et leurs multiples implications soit "complètement" maîtrisée (abstraction faite des problèmes de mémoire, de fatigue, d'attention, mais aussi de familiarisation avec le contenu traité – dans l'exemple les relations symétriques et asymétriques de relation)…

1942.
Classes, relations et nombres. Essai sur les groupements de la logistique et sur la réversibilité de la pensée.
 Chapitre XI: Des groupements logiques aux groupes arithmétiques
Texte PDF mis à disposition le 25.02.2008
 - Présentation
Dans ce long chapitre, Piaget détermine "les conditions de passage des groupements logique I à VIII aux deux groupes arithmétiques" de l'addition des nombres entiers positifs et négatifs et de la multiplication des nombres positifs, entiers et fractionnaires. Il prend du même coup position contre les thèses logicistes de Russell et Whitehead, qui affirment définir le nombre à partir du concept de classes logiques. Pour Piaget au contraire, qui reprend et développe ici une thèse de Brunschvicg, de telles tentatives logicistes ne réussissent que dans la mesure où il est simultanément, quoique non explicitement, fait appel à la logique des relations asymétriques… Ce onzième chapitre contient aussi une section sur les cardinaux et les ordinaux transfinis, dont Piaget montre qu'ils obéissent, les premiers à la logique des classes (groupements I-IV), les seconds à la logique des relations asymétriques (groupements V-VIII), et non pas aux lois des groupes arithmétiques. Piaget y traite aussi de la structure des ensembles mathématique. La structure d'un tel ensemble découle des opérations qui le constituent et lui sont rattachées.

En définitive, cet examen des transfinis et des ensembles confirme le but ultime, à savoir épistémologique, des analyses logistiques et psychologiques auxquelles procède Piaget dans cet ouvrage fondamental. Ce but nous semble être atteint au terme d'un travail systématique d'abstraction réfléchissante réalisé sur les activités de mises en correspondance, de classification et de sériation qui sous-tendent et aboutissent aux équations décrites dans ce chapitre (et dans les précédents), ainsi qu'aux commentaires qui les accompagnent.

1942.
Classes, relations et nombres. Essai sur les groupements de la logistique et sur la réversibilité de la pensée.
 Chapitre XII: Classes, relations et nombres.
Texte PDF mis à disposition le 02.10.2007
 - Présentation
Ce chapitre de synthèse prend position sur la nature des relations entre classes, relations et nombres. Piaget y montre comment les mécanismes communs de colligation, de sériation et de correspondance qui tous interviennent dans la constitution des classes, des relations (asymétriques) et des nombres se différencient en tant qu'ils composent soit des classes, soit des relations, soit des nombres. Selon que l'activité de pensée privilégie les qualités communes, ou au contraire la graduation (sans unité homogène) de ces qualités, ou bien enfin la quantification (au moyen d'unités homogènes) de cette graduation, il en résulte des classes, des relations (asymétriques qualitatives) ou des nombres. Cette analyse permet à Piaget de montrer les parentés et les différences entre les groupements d'opérations logiques et le groupe(ment) arithmétique, et de proposer une solution originale face au réductionnisme logique de Russell et à l'intuitionnisme de Poincaré qui insistait sur l'irréductibilité du nombre à la classe.

Piaget discute également dans ce chapitre la question de la fécondité et de la nécessité de la pensée logico-mathématique: la non-contradiction de cette pensée réside dans la "réversibilité des opérations qui la composent" et qui, en outre, assurent sa fécondité (p. 271; concernant la réversibilité, Piaget renvoie à son ouvrage de 1924 sur Le jugement et le raisonnement chez l'enfant, JP24_0). L'analyse qu'il propose des groupements de classes, de relations et de nombres révèle les raisons pour lesquelles les groupements de relations (asymétriques) sont plus féconds, plus riches en compositions, que les groupements de classes, et par ailleurs moins féconds que les compositions numériques.

1942.
Classes, relations et nombres. Essai sur les groupements de la logistique et sur la réversibilité de la pensée.
 Conclusion
Texte PDF mis à disposition le 02.10.2007
 - Présentation
Dans une première partie de ses conclusions, Piaget montre, par une analyse logique des compositions opératoires en jeu dans les différents groupements logiques, les raisons pour lesquelles ceux-ci peuvent, à l'égal des structures de groupe de l'arithmétique, être considérés comme des groupements au sens mathématique: pour autant que l'on prenne comme élément non pas les opérations logiques isolées (addition, soustraction, multiplication et division logiques), mais les équations dans lesquelles celles-ci opèrent, on retrouve dans ces groupements des lois de composition similaires à, quelques restrictions près, à celles qui caractérisent les structures numériques. De façon symétrique la seconde partie des conclusions montre alors en quoi les propriétés d'associativité, de substitution, etc. qui caractérisent les équations logiques n'ont pas qu'une valeur formelle, mais caractérisent également les modalités réelles de fonctionnement de la pensée humaine à partir d'un certain niveau de développement.

1945.
La formation du symbole chez l'enfant.
 Introduction
Texte PDF mis à disposition le 27.04.2009
 - Présentation
Piaget présente dans cette introduction les deux buts principaux de cet ouvrage. Le premier est d'étudier les débuts de la fonction symbolique et de la pensée représentative (y compris le symbolisme « inconscient » des psychanalystes) en cherchant à en dégager les caractéristiques propres, telles qu'elles se manifestent entre la deuxième année et la quatrième après la naissance de l'enfant, c'est-à-dire avant la construction de la pensée opératoire concrète et des "intuitions articulées" qui la préparent entre 4 et 6 ans environ. Le jeu symbolique et l'image sont deux vecteurs importants de cette fonction, d'où le soin que prend l'auteur à en retracer les sources, dans le jeu d'exercice et l'imitation tels qu'ils se développent dans les mois qui la précèdent. Par ce biais, Piaget se donne les moyens d'atteindre le deuxième but de cet ouvrage, à savoir examiner comment cette première forme de "pensée représentative" fait le pont entre l'intelligence sensori-motrice et "les formes opératoires de la pensée".

Bien qu'ayant déjà été étudiée dans les années 1920, la question du langage n'est pas complètement absente de cet ouvrage portant sur une pensée encore essentiellement égocentrique (au sens très particulier où Piaget entend ce terme). Le langage, qui sera certes l'une des conditions d'acquisition de la pensée opératoire, est ici considéré seulement en tant que son usage entre 2 et 4 ans environ révèle des caractéristiques similaires à celles de la fonction symbolique, dont il est d'ailleurs l'une des composantes.

Enfin, relevons que, dès cette introduction, Piaget prend position par rapport aux critiques que lui avait adressées Henri Wallon au sujet de la continuité entre l'intelligence sensori-motrice et la pensée représentative et du rôle du facteur social dans la genèse de cette dernière.

1945.
La formation du symbole chez l'enfant.
 Chapitre 1: Les trois premiers stades: Absence d'imitation, imitation sporadique et débuts d'imitation systématique
Texte PDF mis à disposition le 04.05.2009
 - Présentation
Après une brève introduction à cette première partie ayant pour objet "La genèse de l'imitation", Piaget présente dans ce chapitre les trois premières étapes de cette genèse: (1) la première dans laquelle aucune conduite d'imitation n'a été constatée chez ses trois enfants, (2) la deuxième dans laquelle, vers 1 mois, apparaissent sporadiquement des comportements reproduisant ceux d'autrui, mais seulement à propos de "réactions circulaires primaires" ou de "premiers schèmes réflexes différenciés" auxquels le modèle présenté peut être assimilé et entraîner sa reproduction (l'action de pleurer par exemple, ou la reproduction sporadique de sons que le bébé vient de produire, etc.), (3) la troisième dans laquelle, vers 4 mois, apparaissent des conduites plus systématiques d'imitation de sons appartenant au répertoire de ceux que l'enfant sait produire ou de mouvements que le sujet a déjà lui-même préalablement exécutés "de manière visible pour lui" — en d'autres termes les premières esquisses de conduite intentionnelle d'imitation (mais sans qu'il y ait besoin de construire un nouveau schème générateur du comportement observé et, donc, d'utiliser l'intelligence à cet effet, ce qui sera le cas au stade IV; on pourrait ainsi qualifier de "presque intentionnelle" l'imitation du troisième stade, ceci en reprenant l'expression utilisée par Piaget pour caractériser les réactions circulaires secondaires qui apparaissent au troisième stade de la naissance de l'intelligence).

Sans que Piaget ne nie l'existence de comportements non intentionnels d'imitation susceptibles d'être acquis par des mécanismes tels que le dressage ou l'apprentissage conditionné, ce qui intéresse ici l'auteur est donc essentiellement la genèse de la toute première ébauche de conduite intentionnelle d'imitation, et ce qu'il cherche à montrer dans ce premier chapitre est la façon dont, à ses débuts, cette conduite s'inscrit dans le simple prolongement des caractères circulaire et accommodateur propres aux schèmes d'assimilation sensori-moteurs. En ce sens, la conduite d'imitation est directement liée à la genèse de l'intelligence sensori-motrice, la progression ulltérieure de celle-ci fournissant à l'imitation les instruments permettant au bébé non plus seulement d'imiter les actions d'autrui qu'il sait déjà produire lui-même (ce qu'il fait au stade 3), mais, comme le révéleront les observations des stades 4 à 6 présentées dans les chapitres deux et trois, de coordonner de manière appropriée les schèmes déjà acquis pour produire le comportement imitant une action plus ou moins complexe n'appartenant pas au répertoire de ces schèmes, ou encore pour produire des mouvements invisibles de son visage imitant les mouvements du visage d'autrui. Ce n'est qu'alors que naîtra véritablement la fonction ou la conduite spécialisée d'imitation…

Voilà une image résumant l'essentiel de la structure des premières imitations:
 

1° Le bébé produit et entend (stade 2) ou sait produire (stade 3) un son; 2° autrui produit le même son; 3° ce dernier est assimilé par le bébé au schème sensori-moteur (à la boucle sensori-motrice) qu'il possède déjà; 4° le schème déjà activé (stade 2) ou susceptible d'être activé (stade 3) l'est à nouveau…

1945.
La formation du symbole chez l'enfant.
 Chapitre 2: Stades IV et V. Imitation des mouvements non visibles sur le corps propre et des modèles nouveaux
Texte PDF mis à disposition le 18.05.2009
 - Présentation
Ce chapitre rapporte les premières formes pleinement intentionnelles d'imitation telles qu'elles se manifestent au quatrième et cinquième stade du développement de l'intelligence sensori-motrice.

Au quatrième stade, l'enfant va utiliser ses capacités d'accommodation intentionnelle des schèmes d'action déjà acquis pour modifier ceux-ci et créer de nouveaux schèmes lui permettant de reproduire par tâtonnement et approximativement de nouvelles actions ou de nouveaux sons produits devant lui par autrui; ou bien encore il va utiliser ses capacités d'assimilation réciproque de ses schèmes, et donc ses capacités inférentielles naissantes, pour repérer par tâtonnement, parmi les mouvements de son propre visage invisibles pour lui mais qu'il sait déjà produire, ceux qui correspondent aux mouvements qu'il voit réalisés par autrui et qu'il cherche activement à reproduire et donc à imiter.

Au cinquième, l'enfant va recourir à sa capacité nouvelle d'inventer, par expérimentation active ou combinaison active des schèmes acquis, de nouvelles conduites productrices de résultats inattendus ou recherchés, pour imiter non plus globalement mais avec précision des mouvements nouveaux réalisés par autrui, y compris des mouvements invisibles du corps propre (se toucher le front avec l'index, par exemple).

1945.
La formation du symbole chez l'enfant.
 Chapitre 3: Le sixième stade (Débuts de l'imitation représentative et l'évolution ultérieure de l'imitation)
Texte PDF mis à disposition le 24.05.2009
 - Présentation
Ce chapitre est composé de trois parties: une première dans laquelle Piaget décrit la véritable mutation que connaît l'imitation au sixième stade de développement des conduites sensori-motrices (qui est aussi le stade où apparaît la fonction représentative, ceci grâce en particulier aux progrès de l'intelligence et de l'imitation); une deuxième dans laquelle il décrit à grand trait l'évolution ultérieure de l'imitation et de l'image (celle-ci se rattachant étroitement à celle-là), en ouvrant ainsi la porte aux travaux qu'il consacrera quelque 20 ans tard avec B. Inhelder aux images mentales. Enfin, la troisième partie porte sur une discussion serrée de deux conceptions de l'imitation (l'une de H. Wallon l'autre de P. Guillaume) qui étaient proposées dans les années où Piaget développait sa propre théorie à partir des observations minutieusement recueillies auprès de ses trois enfants.

Le sixième stade du développement de l'intelligence sensori-motrice, et donc aussi de l'imitation, se caractérise par la constitution de la fonction représentative. L'imitation joue un rôle important dans cette constitution. L'imitation pleinement différenciée et intentionnelle des stades 5 et 6 se faisait toujours dans le contexte de la perception du modèle imité. Avec le sixième stade surgit une imitation qui se libère de cette dépendance et qui peut être différée et plus généralement se dérouler en l'absence du modèle imité. Un enfant d'une année et quelques mois voit par exemple un autre enfant réaliser une action que lui-même n'a jamais effectuée. Il peut reproduire cette action non pas immédiatement, mais un ou quelques jours après. Au moment de la perception du modèle, l'imitation reste virtuelle, c'est-à-dire n'est qu'intérieurement esquissée, sans même que l'enfant en ait conscience. C'est après coup, dans des circonstances qui certes peuvent évoquer l'action du modèle, que l'action d'imiter se déploie pleinement. Cette capacité qu'à l'ancienne imitation du stade 5 — comme celle d'ailleurs du stade 4 — de rester (au sixième stade) virtuelle, de ne faire que s'esquisser intérieurement, fournit le matériau de l'image (mentale) à venir. Mais il y a plus:

Dès le sixième stade la capacité qu'à l'enfant de différer l'imitation, s'accompagne de la possibilité, pour le sujet, d'en devenir d'une certaine manière le maître et de la transformer en symbole, c'est-à-dire en représentant d'un autre objet. L'imitation peut n'être plus le motif de l'action en cours (imiter pour imiter); elle peut permettre de se représenter, en les imitant, des mouvements ou des transformations perceptibles ou non des objets, dans le but de les catégoriser (ou de les "classer"), de les comprendre ou de résoudre un problème d'intelligence pratique les concernant. L'exemple protoypique ici est celui de Lucienne qui, voulant sortir une chaîne d'une boîte d'allumettes à peine entre-ouverte, imite avec sa bouche le mouvement d'ouverture et de fermeture de cette boîte (au sixième stade, elle sait imiter en l'absence du modèle). Comme elle sait reconnaître tactilement (avec ses doigts) le mouvement de sa bouche (qu'elle connaît par ailleurs par assimilation avec les mouvements de la bouche d'autrui, résultat d'anciennes imitations — quatrième et cinquième stades — des mouvements invisibles du corps propre), elle n'a plus qu'à transférer sur la boîte d'allumettes le mouvement de son index qui accompagne parfois l'ouverture et la fermeture de sa propre bouche, ou de celle d'autrui. Le mouvement de sa bouche, cette imitation en l'absence du modèle, représente pour elle le mouvement visé (et souhaité) de la boîte d'allumettes. Il est à la fois le représentant du mouvement visé, son image donc, et le moyen par lequel sera reconnue la solution au problème auquel Lucienne se heurte… Un pas devra encore être franchi pour que le sujet en vienne à utiliser intentionnellement, comme représentant de réalités non présentes, les esquisse intériorisées des schèmes d'action, et pour que soient constituées par ce sujet et pour ce sujet de véritables images mentales. C'est ce parcours — caractérisé par l'explosion de la fonction symbolique — que Piaget décrit dans la troisième partie de ce chapitre III.

Pour Piaget, la fonction symbolique ne surgit pas ex nihilo. Elle naît de la combinaison, rendue possible à une certaine étape de leur développement, des fonctions assimilatrices et accommodatrices des schèmes, et de leurs produits (imitations externes et internes, mais aussi significations qui leur sont attribuées). On voit ici, comme dans d'autres contextes, que ce qui fait toute la difficulté de cette partie de l'œuvre de Piaget est que celui-ci s'efforce de répondre à la plus ambitieuse des questions psychologiques: connaître et expliquer l'origine et la genèse des fonctions intellectuelles.

1945.
La formation du symbole chez l'enfant.
 Chapitre 4: La naissance du jeu
Texte PDF mis à disposition le 08.06.2009
 - Présentation
Dans ce chapitre, Piaget montre comment, pendant les 6 stades de développement des conduites sensori-motrices (qui, au sixième stade voit apparaître les débuts de la représentation), la genèse du jeu se déroule en parfaite synchronie avec celles de l'intelligence et de l'imitation. Il met également en évidence le paradoxe apparent que constitue le jeu symbolique (la conduite du "faire semblant") qui apparaît au sixième stade. Dans les stades précédents, l'imitation (primat de l'accommodation) était toujours antithétique avec le jeu (primat de l'assimilation). Au sixième stade au contraire, le jeu utilise la caractéristique majeure de l'imitation de ce stade, à savoir la capacité d'évoquer un objet absent ou un événement non actuel (ceci de la même façon que l'intelligence du sixième stade peut recourir à l'imitation représentative pour atteindre un certain but). Ces trois caractéristiques: le synchronisme de développement, l'opposition initiale, puis la capacité finale de se combiner dans une même conduite telle que le jeu symbolique s'expliquent par le lien qu'ont le jeu, l'imitation et l'intelligence avec les deux fonctions de base de tout schème d'action que sont l'assimilation, l'accommodation, ainsi qu'avec leur séparation et leur spécialisation progressive rendant finalement possible leur combinaisons différenciée au sein d'une même action.

Voilà dans quels termes Piaget conçoit la façon dont l'antithèse initiale est finalement dépassée en raison des progrès de ces deux fonctions de base, et plus particulièrement de l'imitation, rendant possible leur coopération: «En conclusion, tant qu'il s'agit d'intelligence, d'imitation et de conduites ludiques toutes trois exclusivement sensori-motrice, l'imitation prolonge l'accommodation, le jeu prolonge l'assimilation et l'intelligence les réunit sans interférences compliquant cette situation simple. Avec les conduites différées et intériorisées à la fois qui marquent les débuts de la représentation, l'imitation, qui développe alors une accommodation aux objets absents et pas seulement présents, acquiert par le fait même une fonction formatrice de « signifiants » par rapport aux significations (aux « signifiés ») adaptées ou ludiques selon qu'elles émanent de l'assimilation accommodée actuellement ou de l'assimilation déformante, caractéristiques de l'intelligence ou du jeu» (p. 110).

1945.
La formation du symbole chez l'enfant.
 Chapitre 5: La classification des jeux, et leur évolution à partir de l'apparition du langage
Texte PDF mis à disposition le 19.06.2009
 - Présentation
Dans les années 1920 et 1930, conformément à une démarche qui lui était coutumière, Piaget — seul ou avec l'aide de sa femme et de ses collaborateurs de l'Institut Jean-Jacques Rousseau (à Genève) — a recueilli un très grand nombre d'observations de comportements ludiques, aussi bien chez ses trois enfants, que chez des enfants fréquentant la "Maison des Petits" rattachée à cet Institut, ou encore jouant dans la rue. En bon naturaliste, il n'a dès lors pas manqué d'établir une classification apte à couvrir l'ensemble des comportements qui, des jeux d'exercices (seuls observés dans la première année post-natale), aux jeux de règles (à partir de 4-5 ans) en passant par les jeux symboliques (dominant entre 2 et 6 ans environ), pouvaient être assimilés à des jeux. Ce faisant, Piaget n'a pas manqué de discuter les principales classifications qui étaient alors proposées par des auteurs tels que K. Groos et C. Bühler. Ce sont cette discussion et sa propre classification que le lecteur pourra découvrir dans ce chapitre qui, à la différence du précédent, va au-delà des faits décrits dans le chapitre IV, qui s'arrêtait à la fin de la période sensori-motrice et au tout début de la pensée symbolique. Les jeux de règles ayant déjà été exposés en 1932 dans l'ouvrage sur "Le jugement moral chez l'enfant" (JP32), et les premiers jeux d'exercice ayant déjà été examinés et ordonnés de manière détaillée dans le chapitre IV, c'est essentiellement à l'examen et l'exposé de l'évolution des jeux d'exercice et des jeux symboliques "à partir de l'apparition du langage" que se consacre plus spécialement ce cinquième chapitre, l'explication couvrant l'ensemble des jeux d'exercice, symboliques et de règles étant réservée au chapitre VI.

Notons enfin que le travail de classification auquel procède Piaget rejoint celui réalisé sur le terrain de la malacologie ou, ultérieurement, de la botanique (JP66_13), par l'attention portée aux différences de structure que présentent les jeux d'exercice et les jeux symboliques au cours des étapes que chacun de ces deux types de jeux traverse.

1945.
La formation du symbole chez l'enfant.
 Chapitre 6: L'explication du jeu
Texte PDF mis à disposition le 25.06.2009
 - Présentation
Pour Piaget, à l'opposé des activités visant l'imitation laborieuse du réel ou des actions d'autrui, lors desquelles le pôle accommodateur de la conduite l'emporte sur le pôle assimilateur inhérent à toute conduite, le jeu s'explique de manière tout à fait générale par le primat de l'assimilation sur l'accommodation. Se pose alors le problème des jeux symboliques, qui font appel à des symboles imitant dans une certaine mesure les réalités simulées dans ces jeux (par exemple, l'enfant qui joue à se coiffer avec un bâton, ou l'enfant qui joue à être autrui). Mais ces jeux ne dérogent pas à la thèse du primat de l'assimilation sur l'accommodation dans la mesure où le but que poursuit alors le sujet n'est pas d'imiter le réel, mais de prendre plaisir à le simuler, à le reproduire, à faire ceci ou cela, ou à être ceci ou cela, sans se soucier des contraintes effectives qu'imposerait une fidèle et laborieuse imitation ou reproduction de ce réel. En d'autres termes, dans les jeux symboliques, l'activité accommodatrice est asservie à la libre activité d'un sujet qui ne cherche ni à suivre de près les contours du réel, ni à connaître celui-ci (un tel objectif de connaissance se caractérisant par la recherche d'un équilibre entre les deux pôles assimilateurs et accommodateurs de toute conduite), mais avant tout à se faire plaisir. C'est pourquoi dans le jeu symbolique, les symboles utilisés peuvent n'avoir qu'une similitude très vague avec les objets réels dont ils sont le substitut, comme ce peut être d'ailleurs le cas aussi, mais pour une toute autre raison, lors d'une activité proprement cognitive s'appuyant sur des symboles imagés.

Piaget conclut ce chapitre par un dernier paragraphe consacré cette fois au jeu de règles, dont il avait examiné la genèse chez les enfants dans son étude sur Le jugement moral chez l'enfant (JP32). Le principe de ce jeu reste l'assimilation (ludique) du réel au moi, mais avec conciliation de "cette assimilation avec les exigences de la réciprocité sociale".

1945.
La formation du symbole chez l'enfant.
 Chapitre 7: Le symbolisme secondaire du jeu, le rêve et le symbolisme «inconscient»
Texte PDF mis à disposition le 01.07.2009
 - Présentation
Le jeu symbolique est l’un des trois grands types de jeux dont Piaget a retracé la genèse, soit dans le présent ouvrage, soit dans JP32 (ouvrage dont le premier chapitre portent sur la genèse des jeux de règles, qui succèdent dans leur structure aux jeux d’exercice puis au jeux symboliques, seuls présentés de manière relativement exhaustive dans JP45, chapitres IV, V et VI). Comme tout jeu impliquant le réel, il repose sur le primat de l’assimilation sur l’accommodation ; mais il se différencie toutefois par l’usage tout personnel (ou «égocentrique» au sens piagétien) de substituts du réel ou symboles offrant, pour leur utilisateur, une similarité plus ou moins grande avec ce qu’ils représentent. Point central de la théorie piagétienne, les significations que l’individu attribue à ces symboles proviennent non pas de ce rapport de similarité, mais de leur assimilation aux schèmes alors activés. Toutefois, en très bon connaisseur de la psychanalyse et de ses variantes (Freud, Jung, Klein, Silberer, etc.), Piaget admet que, en certains cas, en plus de la signification manifeste ou «primaire» des symboles ludiques, leur usage peut impliquer une signification dont le jeune enfant ne peut prendre conscience et qui, en ce sens, se rapproche des faits révélés par la psychanalyse lors de son examen des rêves et de leur signification. Piaget parle de «symbolisme secondaire» pour désigner cette sous-classe de jeux symboliques dont il présente quelques exemples. La question se pose alors de savoir si les processus en jeu dans le symbolisme secondaire s'inscrivent ou non en continuité avec ceux présents dans le symbolisme primaire, ou si, au contraire, le symbolisme secondaire serait la source du symbolisme en général, comme tendrait à l'impliquer la théorie freudienne. Tout en reconnaissant la réalité du refoulement, qui peut s’expliquer par les conflits entre schèmes (par exemple entre un désir et un schème de nature normative, ou entre un schème conceptuel et un schème perceptif), Piaget juge superflu d’attribuer à la vie mentale un mécanisme tel que la censure, laquelle, au moyen du symbolisme (dont elle serait alors la source), déguiserait le contenu du rêve pour le rendre acceptable à la conscience (un mécanisme qui impliquerait d'attribuer à l’inconscient ou à une deuxième conscience un pouvoir de tri qui n’apparaît qu’ultérieurement dans le développement intellectuel du sujet conscient). Ce que suggère plutôt l’examen de la genèse du jeu symbolique, c’est au contraire une certaine continuité entre le symbolisme primaire et le symbolisme secondaire, celui-ci n’étant que la conséquence d’une plus grande difficulté de prendre conscience du lien existant entre le symbole utilisé et la réalité dont il est le substitut (en d’autres termes, le jeune enfant ne possède pas le cadre conceptuel qui lui permettrait d’expliciter ce rapport, un état de fait qui peut d’ailleurs se retrouver à des étages supérieurs de fonctionnement de la pensée, comme l’établiront les travaux de la fin des années 1960 ou du début des années 1970 exposés dans JP74a et JP74c). De même, dans les rêves de sujets même adultes, certains symboles ont une signification immédiate ; d’autres une significations plus difficiles à expliciter ; mais cette plus grande difficulté tient encore une fois, pour Piaget, simplement au fait que les schèmes activés dans le rêve relèvent de cette forme de pensée symbolique découverte dans les jeux symboliques des enfants, à partir d’une année et demi ou deux ans, et non pas d’une pensée devenue sociale et rationnelle. Si l’on ajoute le fait que, dans le rêve, la forme d’égocentrisme ou d’autoïsme de la pensée symbolique tend à rejoindre l’adualisme observé chez le nourrisson dans les semaines qui suivent la naissance — un adualisme dont on sait aujourd’hui que, dans sa forme primitive chez le nouveau-né, il n’implique pas l’absence d’échanges éthologiques avec le monde qui l’entoure, mais qui n’en signifie pas moins une absence complète ou presque de la conscience du soi assimilateur — on comprend que Piaget juge inutile l’attribution à l’inconscient de mécanismes spécifiques permettant de tromper le sujet endormi, et relevant donc de la ruse.

Que l’on soit ou non d’accord avec la façon dont Piaget tire ici profit de ses recherches sur la pensée du jeune enfant et plus généralement de l’intelligence humaine pour rendre compte du refoulement freudien et de ses conséquences, ou au contraire pour réduire le mécanisme freudien de la censure aux caractéristiques d’une pensée «autoïste» telle que découverte chez l’enfant de 2-4 ans, la lecture de ce chapitre révèle, comme tous les autres écrits dans lesquels Piaget prend à partie la psychanalyse, les rapports tout à la fois critiques et amicaux que le chercheur et théoricien genevois a entretenus tout au long de son œuvre avec cette discipline (il reconnaît les faits découverts par la psychanalyse, mais en propose une réinterprétation en accord avec les concepts théoriques d'une psychologie renouvelée par les recherches psychogénétiques). Le lecteur pourra aussi y reconnaître, ou y découvrir, à propos de notions aussi obscures que celles de censure et de déguisement, lorsqu’elles sont attribuées aux processus du rêve, ou encore de l'explication que la censure donnerait de l'origine de la fonction symbolique, cette façon constante qu’a Piaget de traquer dans la psychanalyse ce qu’il considère être une erreur de méthode, à savoir prêter sans aucune hésitation aux processus primaires de la pensée des compétences intellectuelles qui n’apparaîtront qu’ultérieurement dans la genèse de la pensée.

1945.
La formation du symbole chez l'enfant.
 Chapitre 8: Le passage des schèmes sensori-moteurs aux schèmes conceptuels
Texte PDF mis à disposition le 09.07.2009
 - Présentation
Ce huitième chapitre ouvre la troisième et dernière partie de l'ouvrage. Il est précédé de deux pages dans lesquelles est présenté l'objectif central de cette dernière partie sur "La représentation cognitive", à savoir la détermination des relations entre l'image (imitative), le symbolisme ludique et la représentation cognitive propre à l'intelligence représentative.

Piaget examine dans ce huitième chapitre la transformation du schème sensori-moteur en "schème conceptuel", transformation conditionnée par les progrès conjoints de la fonction sémiotique, des schèmes verbaux et donc de la socialisation, mais également de l'intelligence représentative. Il y examine de manière très fine la progression du langage et de ses usages d'abord essentiellement pratiques (lié à l'action et au désir du sujet), puis représentatifs, descriptifs et enfin préconceptuels, depuis l'âge de 18 mois environ, jusque vers 4 ans (sans omettre la dimension communicationnelle et sociale).

Dans cet usage du langage comme outil de conceptualisation, il n'y a pas encore de concept à proprement parler, dans la mesure où l'enfant n'a pas encore construit les opérations et la notion de classe logique. De même, faute de co-ordination opératoire des points de vue, il ne peut livrer (à soi-même ou à autrui) des descriptions d'objets ou de situations autres que celles assimilées ou assimilables à son point de vue. De 2 à 4 ans environ, en raison de l'absence de décentration, les préconcepts partagent avec la pensée symbolique l'absence de généralité, et il en va de même pour les premiers raisonnements. Entre 4 et 6-7 ans apparaît toutefois un "infléchissement" de l'usage des préconcepts "dans la direction du concept opératoire" de par l'apparition d'un début d'emboîtement hiérarchique de ce qui deviendra par la suite des classes logiques.

On voit donc que, dans ce chapitre, ce qui intéresse avant tout Piaget, ce sont, non pas les progrès langagiers en tant que tels, mais leur relation au progrès de l'intelligence logique du jeune enfant. En l'absence de réversibilité opératoire, les signifiants langagiers utilisés pour décrire et concevoir les choses partagent le caractère individuel, le défaut de généralité interindividuelle, des symboles ludiques et de l'usage des images comme autres instruments de représentation du réel.

1945.
La formation du symbole chez l'enfant.
 Chapitre 9: Des catégories pratiques aux catégories représentatives
Texte PDF mis à disposition le 26.07.2009

1945.
La formation du symbole chez l’enfant.
Chapitre 10: Conclusions: Les stades généraux de l’activité représentative
Texte PDF mis à disposition le 08.08.2009
 - Présentation
Piaget, dans ce chapitre de conclusion, parvient en 23 pages à développer une conception du développement des activités sensori-motrice et de la pensée de l’enfant à la fois très riche en extension (par les nombreuses conduites qu’elle vise et qui en constituent le support empirique) et en compréhension (par la portée à la fois différenciatrice et intégratrice des concepts utilisés, dont ceux de schème, d’assimilation et d’accommodation, du primat de l’une ou de l’autre de ses deux fonctions, ou au contraire de leur équilibre plus ou moins stable).

Accompagnée d’un schéma d’ensemble qui la résume parfaitement, cette conception rend compte de la genèse des trois classes de conduites pouvant être rapportées aux deux fonctions de base de la vie psychologique que sont l’assimilation et l’accommodation, ainsi qu’aux rapports d’équilibre ou de déséquilibre que celles-ci entretiennent: (1) l’imitation (sensori-motrice puis représentative, qui culmine dans l’image mentale) et l’imitation réfléchie, (2) le jeu (sensori-moteur puis symbolique avant de devenir jeu de construction et jeu de règles), enfin (3) l’intelligence (sensori-motrice puis représentative préconceptuelle et intuitive, avant de devenir opératoire), sans ignorer le rôle que joue le langage, et donc les interactions sociales, dans l’essor de l’intelligence représentative.

Pour ne pas se méprendre sur la portée très concrète d’une théorie apparemment très abstraite, le lecteur ne doit pas oublier que derrière chaque affirmation théorique livrée dans cette conclusion, se cachent un nombre souvent très grand de ces conduites et schèmes de comportement, que l’auteur a systématiquement observés ou provoqués chez ces propres enfants (entre 0 et 3-4 ans), complétés par des observations recueillies auprès d’autres enfants, dont ceux de la Maison des Petits (l’école associée pendant des années à l’Institut Jean-Jacques Rousseau, institution qui bien plus tard deviendra faculté de psychologie et des sciences de l’éducation de l’université de Genève). En plus de fournir une vision très riche de la vie psychologique du jeune enfant, la lecture attentive de ces observations et des analyses de conduite qui les accompagnent apparaît dès lors comme une condition de pleine compréhension des notions et de la conception théoriques qui composent cette conclusion.

1946.
Les notions de mouvement et de vitesse chez l’enfant.
Chap. V: Les mouvements relatifs
Texte PDF mis à disposition le 13.01.2012
 - Présentation
[Texte de présentation: version du 7 décembre 2011.]

Ce chapitre rapporte les difficultés que les enfants ont de concevoir les compositions de mouvements de deux mobiles dont l’un (une planche en carton) sert de support à l’autre (un escargot qui se déplace sur cette planche elle-même mobile). Il faut attendre 11-12 ans, et donc les débuts de la pensée formelle, pour que les sujets interrogés parviennent à composer les mouvements respectifs (et en particulier de sens inverse) de la planche et de l’escargot pour savoir de combien s’est déplacé ce dernier face au repère fixe qu’est un trait tracé sur la table devant laquelle l’expérimentateur-psychologue et le sujet interrogé se trouvent (la planche peut être déplacée de gauche à droite ou de droite à gauche parallèlement au bord de la table et à partir de ce trait; et l’escargot peut lui-même être déplacé de gauche à droite ou de droite à gauche par rapport à la planche).

Lorsque Piaget analyse les réponses des enfants confrontés à ce problème apparemment très simple de composition des mouvements relatifs, il n’a pas encore découvert les structures opératoires de niveau supérieur qui sous-tendent la pensée formelle et hypothético-déductive. Le fait que les sujets ne parviennent à résoudre ce type de problème que vers l’âge de 11-12 ans ne peut alors être expliqué qu’en évoquant un «mécanisme déductif portant sur des hypothèses», mécanisme jugé nécessaire pour penser simultanément à deux systèmes concrets de déplacements tels que celui des déplacements de la planche et celui de l’escargot (mécanisme qui, grâce à la capacité de formuler des hypothèses et d’en déduire les conséquences, permettrait au sujet « de traduire à volonté le simultané en successif [lors de la mesure de chaque déplacement] puis le successif en simultané »). Piaget voit bien que la difficulté réside dans le fait de pouvoir « coordonner » en un seul tout les déplacements intervenant dans ces systèmes, mais il n’a pas encore dégagé à ce stade d’évolution de ses travaux le système d’opérations sur des opérations qui réalise cette coordination, à savoir le groupe INRC (lequel permet, en l’occurrence, de lier opératoirement les opérations d’avancement et de recul de l’un des deux mobiles avec celles de l’autre mobile, l’avance de l’un pouvant par exemple être compensée par le recul de l’autre, etc.). La découverte, vers la fin des années 1940 (JP49), de cette structure opératoire ainsi que d’autres (par exemple la structure de réseau réunissant l’ensemble des opérations de la logique des propositions) sous-tendant le fonctionnement de la pensée formelle le conduira d’ailleurs à revenir ultérieurement sur les résultats de cette enquête sur les mouvement relatifs pour en donner une explication intégrant le rôle essentiel du groupe INRC dans la compréhension des mouvements relatifs (voir à ce sujet le chapitre 17 de JP55, pp. 281-283, chapitre qui sera prochainement placé sur le site de la Fondation Jean Piaget).

1946.
Le développement de la notion de temps chez l'enfant.
Avant-Propos et table des matières
Texte PDF mis à disposition le 23.12.2011
 - Présentation
[Texte de présentation: version du 23 décembre 2011.]

Ce très bref avant-propos rédigé dans les années 1940 contient des indications biographiques précieuses sur les recherches consacrées par Piaget au développement de la notion de temps, mais aussi des notions de mouvement et de vitesse, à partir du milieu ou de la fin des années 1920 (avec notamment deux études sur la structure des récits et la notion d'ordre temporel chez l'enfant), et qui n'ont abouti qu'après une quinzaine d'années à une solution satisfaisante.

1946.
Le développement de la notion de temps chez l'enfant.
Introduction à la Première partie: Les opérations élémentaires, Temps et mouvement, et Chapitre 1: L'ordre des événements
Texte PDF mis à disposition le 23.12.2011
 - Présentation
[Texte de présentation: version du 8 décembre 2011.]

Composée de deux chapitres, la première partie de l’ouvrage de 1946 sur le développement de la notion de temps chez l’enfant porte sur les opérations élémentaires qui permettent de maîtriser les notions d’ordre des événements et de durée des intervalles. Dans l’introduction à cette première partie, en plus de présenter l’objet des deux chapitres, Piaget, résume le résultat principal de l’ensemble des recherches présentées dans l’ouvrage, à savoir combien la notion de temps ne peut être dissociée des notions de mouvement (y compris les mouvements corporels) et de vitesse.

Quant au premier chapitre, qui a pour objet la notion d’ordre temporel, il contient une analyse psychologique (pour ne pas dire phénoménologique) très serrée des raisons pour lesquelles un enfant parvient ou ne parvient pas à mettre en correspondance deux séries d’images décrivant (une fois remises en ordre) les étapes successives de niveaux d’un verre qui se vide par intervalles de temps réguliers dans un autre verre qui, vide au départ, se remplit du liquide du premier verre. Alors que d’autres situations dans lesquelles le mouvement, donc le temps, n’est pas impliqué (comme dans le cas d’une double sériation de poupées de plus en plus grands et de cannes de plus en plus petites) peuvent être déjà résolues sans problème, l’analyse de la maîtrise plus tardive de cette double sériation des étapes successives d’abaissement et d’élévation (plus lente) des niveaux de liquide dans deux verres de forme différente et dont l’un se vide dans l’autre, ainsi que l’analyse des conduites antérieures à cette maîtrise permettent de comprendre comment la construction de la notion opératoire (et non plus seulement intuitive) d’ordre temporel dépend (1) de la capacité de coordination opératoire de mouvements (ou plus généralement de transformations?) de vitesse différente se déroulant simultanément les uns par rapport aux autres (la maîtrise de cette simultanéité étant d’ailleurs elle-même dépendante de cette capacité de coordination opératoire des mouvements lorsque les vitesses en jeu sont différentes), ainsi que (2) de la capacité de remonter le cours du temps aussi bien que de le descendre, c’est-à-dire de concevoir et composer opératoirement donc réversiblement aussi bien la relation d’ordre inverse (relation «avant») que celle d’ordre direct («après») d’une série irréversible d’événements.

1946.
Le développement de la notion de temps chez l'enfant.
Chapitre 2: La durée des intervalles
Texte PDF mis à disposition le 25.08.2012
 - Présentation
[Texte de présentation: version du 10 août 2012.]

Une analyse psychologique et logique très serrée des réponses des enfants à des problèmes de comparaison des durées de l'écoulement parallèle d'une même quantité de liquide dans des verres de formes différentes permet à Piaget de cerner les coordinations très complexes d'opérations portant sur l'espace, l'ordre temporel et la vitesse d'abaissement et d'élévation des niveaux de l'eau, grâce auxquelles les enfants parviennent à maîtriser qualitativement la notion de durée et finalement à mesurer les intervalles temporels. Plus que tout autre peut-être, l'étude de la psychogenèse du temps chez l'enfant permet de saisir la richesse et la complexité des instruments opératoires que l'enfant construit entre 4 et 8-9 ans environ pour maîtriser cet univers concret qu'il perçoit, se représente et conçoit, et avec lequel il interagit quotidiennement.

Ce chapitre est également intéressant par la façon qu'a Piaget de substituer à la thèse kantienne de l'apparente unicité du temps intuitivement perçu une thèse de l'unicité du temps newtonien issue de cette coordination maîtrisée des opérations à l'oeuvre dans les jugements et les activités métriques portant sur les durées.

1946.
Le développement de la notion de temps chez l'enfant
Introduction Partie 2: Le temps physique, et Chapitre 3: La succession des événements perçus
Texte PDF mis à disposition le 01.09.2012
 - Présentation
[Texte de présentation: version du 29 août 2012.]

Une pleine compréhension de la notion de succession temporelle n'est acquise que lorsque la notion de temps est dissociée des notions et relations de vitesse, d'ordre spatial, d'espace parcouru ou encore de travail accompli… et que le sujet parvient à coordonner opératoirement les relations d'ordre temporel avec les (emboîtements des) durées des événements considérés (ainsi d'ailleurs qu'à coordonner ces relations temporelles et ces durées avec les relations spatiales et de vitesse des mêmes événements)…

Avant cette dernière étape de construction de la notion commune de succession temporelle, Il suffit au contraire que deux mobiles partent ou non, très visiblement, du même point et au même instant, puis, tout aussi visiblement, s'arrêtent ou non en même temps, mais après s'être déplacés l'un rapidement l'autre lentement, pour que les enfants de 5-6 ans, qui ont donc bien perçus les moments de départ aussi bien que les moments d'arrivées, jugent de manière incohérente (parfois juste, lorsqu'ils se réfèrent, dans certaines conditions facilitantes, à ce qu'ils ont perçu; le plus souvent fausse) les ordres temporels d'arrivée et/ou de départ de ces mobiles, en basant par exemple leur jugement sur les ordres d'arrivée spatiaux, ou sur la vitesse de déplacement de l'un des mobiles par rapport à l'autre…

1946.
Le développement de la notion de temps chez l'enfant.
Chapitre 4: La simultanéité
Texte PDF mis à disposition le 07.09.2012
 - Présentation
[Texte de présentation: version du 7 septembre 2012.]

Ce chapitre décrit les étapes qui aboutissent à une pleine compréhension de la notion de simultanéité (de déplacements physiques) —étapes qui vont de pair avec celles de la construction des notions de succession temporelle, de durée mais aussi de synchronisation des actions ou des mouvements en jeu. Ce chapitre montre également comment cette construction de la notion de simultanéité physique découle de mécanismes de décentration et de régulation qui prolongent sur le plan de la pensée ceux à l'oeuvre dans la perception de la simultanéité illusoire ou non de deux événements (allumages de deux lampes) déclenchés simultanément ou non face aux sujets interrogés.

1946.
Le développement de la notion de temps chez l'enfant.
Chapitre 5: L’égalisation des durées synchrones et la transitivité des relations d’égalité de temps
Texte PDF mis à disposition le 14.09.2012
 - Présentation
[Texte de présentation: version du 14 septembre 2012.]

Lorsque deux événements se déroulent simultanément dans le temps (par exemple le remplissement simultané de deux verres d'eau identiques, avec le niveau de l'eau s'élevant pareillement dans les deux verres), un enfant dès l'âge de 4-5 ans n'a pas de peine à juger qu'il a fallu le même temps pour chacun de ces événements (l'égalité de temps se confond pour lui avec l'égalité visible des niveaux). Par contre il suffit que les deux verres soient de forme différente pour que les durées écoulées soient jugées différentes, cela alors même que le début et la fin du remplissement sont très visiblement simultanés, de même que le remplissement simultané des deux verres (ce qui confirme les résultats présentés dans le chapitre 4). Un peu plus tard, vers 6-7 ans, les enfants en viennent empiriquement à juger que la durée était la même, en pouvant par exemple prendre appui sur le fait qu'il y a la même quantité de liquide qui a été dans chacun des deux verres. Mais il faut attendre 7-8 ans en moyenne pour que les enfants affirment d'emblée, en s'appuyant notamment sur le synchronisme des remplissements, que les durées sont nécessairement égales. Piaget présente dans le détail les conditions cognitives qui permettent aux enfants d'aboutir à un jugement purement temporel de l'égalité (infra)logique (c'est-à-dire non métrique) des durées écoulées.

Dans les dernières pages de ce chapitre, Piaget présente les faits qui montrent que le jugement par lequel un enfant de stade opératoire affirme d'emblée et justifie l'égalité des durées va de pair avec la capacité d'utiliser la relation logique de transitivité pour juger l'égalité de durée de remplissement entre deux suites d'événements qui ne se sont pas déroulées simultanément (par exemple, remplissement simultané de deux verres A et B, puis remplissement simultané, avec le même dispositif physique et toujours avec la même vitesse d'écoulement du verre B et d'un troisième verre C: l'enfant opératoire affirme sans hésiter l'égalité des durées A et C après avoir affirmé d'emblée l'égalité des durées A et B, puis B et C).

1946.
Le développement de la notion de temps chez l'enfant.
Chapitre 6: L’emboîtement des durées et 
la transitivité
 des relations d’inégalité de temps
Texte PDF mis à disposition le 19.09.2012

1946.
Le développement de la notion de temps chez l’enfant.
Chapitre 7: L’additivité et l’associativité des durées
Texte PDF mis à disposition le 05.10.2012

1946.
Le développement de la notion de temps chez l’enfant.
Chapitre 8: La mesure du temps et l’isochronisme des durées successives
Texte PDF mis à disposition le 14.10.2012

1946.
Le développement de la notion de temps chez l'enfant.
Introduction 3e partie, et Chapitre 9: La notion d'âge
Texte PDF mis à disposition le 24.08.2012
 - Présentation
[Texte de présentation, version complétée le 24 août 2012.

Ce 9e chapitre compose, avec le 10e, la troisième partie du livre sur "Le développement de la notion de temps chez l'enfant". Alors que les chapitres composant la deuxième partie ont pour objet le temps physique, la troisième partie porte sur le temps vécu, en d'autres termes le temps psychologique.

Le texte de présentation du chapitre 9 reproduit ci-dessous a été rédigé en 2010 par Frank Jamet, Maître de Conférences en psychologie à l'IUFM de Versailles, membre du laboratoire Laboratoire Paragraphe de l'Université de Paris 8. Nous remercions Frank Jamet pour nous avoir suggéré de mettre à disposition ce chapitre, ce qui nous a incité à placer sur le site de la Fondation et d'ici la fin 2012 tous les autres chapitres du livre de Piaget sur "Le développement de la notion de temps chez l'enfant".]

Résumé rédigé par Frank Jamet:
L’enfant se représente-t-il d’emblée le vieillissement comme une marche continue dans le temps ? Ce temps est-il commun à tous les individus ? Les différences d’âge se conservent-elles nécessairement, ou bien un individu plus jeune est-il susceptible de rattraper dans le temps son aîné ? telles sont les questions qui sont à la base de ce chapitre. Sachant que la notion d’âge est de celles qui donne lieu à le plus à des connaissances apprises, Piaget, dans ce chapitre interrogera les enfants sur l’âge des plantes et des animaux. Il est d’emblée frappé par le caractère statique et presque discontinu de la notion d’âge de l’enfant. L’âge est un changement qui tend vers un état puis s’arrête de s’écouler. Piaget remarque que cette conception rappelle celle du devenir des Grecs.

L’évolution de la notion d’âge traverse trois stades. Durant le premier stade, les âges sont indépendants de l’ordre des naissances et les différences d’âge peuvent se modifier avec le temps. Le temps n’est donc pas homogène. Le temps débute du point de vue du sujet avec sa propre mémoire. Avant sa naissance, ses parents n’existaient pas. Piaget parle alors d’égocentrisme temporel. A ce stade, l’âge c’est la taille et vieillir c’est croître. Pour l’enfant, il est donc possible d’annuler ou inverser une différence d’âge en grandissant plus vite. Avec le second stade, deux type de raisonnement apparaissent : 1) les âges dépendent de l’ordre des naissances, mais les différences d’âge ne se conservent pas au cours de l’existence. « plus âgé » signifie être né « avant » et « plus jeune » être né « après ». Cette relation n’a de sens que pour l’âge actuel des personnes, pas pour l’avenir. L’âge, la durée se confond toujours avec la taille. La durée vécue ou l’âge sont discontinus. 2) les différences d’âge se conservent, mais elles ne dépendent pas de l’ordre des naissances. La conservation des différences d’âge est fondée sur une intuition articulée tandis que l’ordre des successions s’établit sur une intuition simple. Au troisième stade, les durées et les successions sont coordonnées entre elles et de ce fait leurs rapports se conservent. L’ordre de succession (ordre des naissances) et les durées (l’âge) sont reliés par une nécessite logique. Elle se traduit par la déduction de la conservation des différences d’âge sur la base de l’ordre des naissances.

Pour comprendre le mécanisme par lequel l’enfant va distinguer l’âge de la taille, Piaget interroge une quarantaine d’enfants âgés de 4 à 10 ans sur l’âge de deux arbres d’espèce différente et de grandeur différente. Au stade I, l’âge est proportionnel à la taille. Cependant, on peut être également « plus petit » et « plus âgé ». Au stade II, on observe un début de relativité. C’est par la notion de vitesse de croissance que va se produire la différenciation âge et taille. Il observe que : dès 7-8 ans, la notion de vieillissement commence à se dissocier de celle la croissance. C’est entre 8 et 9 ans que les enfants réussissent ce type de tâche (stade III).

Piaget constate qu’il y a une concordance et une synchronie remarquables entre l’évolution de la notion d’âge (temps biologique) et celles du temps physique. La croissance équivaut aux trajectoires. De la même manière que l’enfant du stade I confond la durée avec le chemin parcouru (temps physique), il définit l’âge par la taille (temps biologique). Au stade II, c’est grâce à la différenciation des vitesses que la durée se dissocie de l’espace (temps physique) et que l’âge se distingue de la taille. Dès qu’intervient la notion de vitesse différente pour la croissance, l’âge est alors conçu comme proportionnel à la taille relative à la vitesse. De la même manière que t = e/V, l’âge = taille/ vitesse de croissance. La raison de cette parfaite évolution entre temps physique et temps biologique tient au fait que dans les deux cas le temps est une coordination des mouvements et de leurs vitesses.

1946.
Le développement de la notion de temps chez l’enfant.
Chapitre 10: Le temps de l’action propre
Texte PDF mis à disposition le 21.10.2012
 - Présentation
[Texte de présentation: version du 14 octobre 2012.]

Dans ce chapitre, Piaget montre —à travers l’analyse génétique des réponses des enfant confrontés à des problèmes variés— comment la connaissance opératoire du temps (qualitatif puis métrique) de l’action propre (c'est-à-dire du temps psychologique) se construit parallèlement et en synergie avec la construction du temps physique (sous le triple aspect de l'ordre temporel, de la durée et de leur synthèse).

1946.
Le développement de la notion de temps chez l’enfant.
Conclusions
Texte PDF mis à disposition le 27.10.2012

1947.
La psychologie de l'intelligence.
Préface et 1ère partie: La nature de l'intelligence. Chapitre 1: Intelligence et adaptation biologique
Texte PDF mis à disposition le 11.01.2010
 - Présentation
[Texte de présentation; version du 16 décembre 2009]

Dans le premier chapitre de ce petit ouvrage qui regroupe les leçons données en 1942 au Collège de France, Piaget situe l'intelligence dans l'ensemble des processus adaptatifs propres au vivant et définis comme établissant un équilibre entre les actions assimilatrices de l'organisme sur le milieu et les actions accommodatrices du second sur le premier. Tout en s'inscrivant en continuité avec des types plus élémentaires de comportements d'échanges avec le milieu (la perception, l'habitude, les conduites sensori-motrices élémentaires), et, donc, par delà ceux-ci, avec les interactions physiologiques des organismes avec leur milieu, l'intelligence concerne les "formes supérieures d'organisation ou d'équilibre des structurations cognitives", caractérisées par leur mobilité et leur réversibilité croissantes, ainsi que par leur champ d'application de plus en plus étendu (les chapitres ultérieurs permettront de se faire une idée de plus en plus précise de ce qu'il convient d'entendre par là).

Par ailleurs, toute conduite d'échange psychologique avec le milieu ne comporte pas seulement toujours une dimension cognitive, mais également une dimension affective. Bien que cet aspect de la conduite ne soit pas l'objet de ce cours, Piaget rappelle brièvement ce qui oppose l'affectivité à l'intelligence et plus généralement à l'ensemble des structurations cognitives du milieu. L'affectivité concerne la dynamique, et donc l'énergétique et l'économie des conduites (en lien avec les besoins, les intérêts et la volonté du sujet, mais aussi avec les valeurs qu'ont, pour le sujet, les buts qu'il se donne, ainsi que les valeurs des objets sur lesquels porte sa conduite).

Dans la dernière partie de ce chapitre, Piaget présente six conceptions possibles de la nature adaptative de l'intelligence (selon que l'adaptation soit attribuée 1. à l'objet, 2. au sujet ou encore 3. à leur interaction, et selon qu'elle résulte ou non d'une genèse en révélant des degrés de plus en plus élevés), en les mettant en rapport avec six conceptions possibles de l'adaptation biologique (lamarckisme, darwinisme, etc.), ainsi qu'avec six conceptions épistémologiques possibles de l'origine de la pensée scientifique. Cette table des correspondances entre les conceptions de l'intelligence, de la vie et de la pensée scientifique s'impose d'elle-même si l'on admet d'un côté que l'intelligence prolonge l'adaptation biologique génératrice des formes vivantes, et de l'autre qu'elle est source de la pensée scientifique.

Les chapitres suivants auront pour objet de montrer que les explications classiquement utilisées pour rendre de la formation des habitudes (notamment un mécanisme de type tâtonnement par essai-erreur similaire au mécanisme variation-sélection invoqué par le darwinisme pour rendre compte de l'évolution des espèces biologiques) ou des structures de la perception (expliquées par des lois de Gestalt ou de champ) ne peuvent rendre compte des propriétés particulières d'équilibre des structures de l'intelligence.

1947.
La psychologie de l'intelligence.
1ère partie: La nature de l'intelligence. Chap.2: La «psychologie de la pensée» et la nature psychologique des opérations logiques
Texte PDF mis à disposition le 24.01.2010
 - Présentation
[texte de présentation; version du 18 déc. 2010]

Dans le deuxième chapitre de ce petit ouvrage qui regroupe les leçons données en 1942 au Collège de France, Piaget caractérise l'"acte d'intelligence" comme consistant essentiellement à regrouper des opérations logiques (classer, sérier, etc.) selon certaines structures similaires à la structure de groupe propre aux opérations numériques élémentaires. Cette caractérisation lui permet de reprendre à son compte certaines thèses de la Denkpsychologie allemande, et notamment l'évocation du rôle des "totalités et des organisations d'ensemble dans le travail de la pensée", mais en y ajoutant la découverte, par la psychologie génétique, des opérations logiques dans le fonctionnement de la pensée de l'enfant à partir de 6-7 ans. Grâce à cette approche psychogénétique, le fonctionnement de cette pensée n'est plus conçue comme le pur et simple reflet de lois logiques, s'imposant à elle (ainsi que le soutenait le jeune Bertrand Russell), mais dont l'origine reste inexpliquée. L'étude psychogénétique permet au contraire de montrer comment le groupement des opérations, source des normes logiques de la pensée, se caractérise par un type d'équilibre tout à la fois stable, mobile et réversible qui lui est propre, et qui est lui-même issu d'un processus d'équilibration sur lequel Piaget reviendra dans les chapitres suivants.

Notons également que, si l'étude psychogénétique de l'intelligence a permis la découverte de regroupements d'opérations ou de "systèmes opératoires d'ensemble" orientant la pensée de l'enfant à partir de 6-7 ans, l'étude "logistique" de ces totalités opératoires a conduit Piaget à en proposer une schématisation formelle révélant leur proximité par rapport aux structures découvertes par les mathématiciens dans leur propre schématisation algébrique des théories arithmétiques (et géométriques). Cette découverte sur le plan de la science logique de structures parentes des structures reconnues en arithmétique et en géométrie va conduire Piaget à jeter un regard en partie critique sur la logistique classique (sur laquelle il s'appuie certes dans sa propre schématisation de la pensée logique de l'enfant) en en soulignant l'approche trop exclusivement atomistique des entités formalisées, en d'autres termes, la trop grande absence de considération des totalités que composent ces entités, totalités dont seule l'approche structurale (au sens mathématique du terme) permet de dégager les lois. Piaget insiste d'autant plus sur cet aspect de totalité que les recherches psychogénétiques ont montré qu'une opération logique n'est jamais acquise isolément.

En définitive, pour Piaget, contrairement à Russell ou à la Denkpsychologie, c'est la logique qui est le miroir de la logique, plutôt que l'inverse (puisque, selon lui, la logique est avant tout une entreprise d'axiomatisation, de schématisation ou de formalisation de la pensée logique – et plus généralement logico-mathématique – telle qu'elle fonctionne chez l'individu ou dans les échanges entre les individus ayant atteint un niveau d'équilibre intellectuel tout à la fois mobile et stable, car réversible.

Les dernières pages de ce chapitre sont consacrées à une brève présentation des différentes opérations logiques et infralogiques (dans le cas où il s'agit non pas de classer des objets ou de les sérier, mais, entre autres choses, de décomposer et recomposer un objet) découvertes dans la pensée de l'enfant (addition et multiplication de classes ou de relations asymétriques, substitutions de classes ou de relations équivalentes, etc., ou encore, sur le plan infralogique, emboîtement de parties dans un tout, ou inversement partition d'un tout, etc.), ainsi qu'aux 16 groupements propres à chacune de ces opérations de base (par exemple groupement des additions — et soustractions — de classes, groupement des additions — et soustractions — de relations asymétriques, etc.) et dont la schématisation ou description formelle permet de dégager les propriétés de structure (composabilité, associativité, réversibilité, etc.). Piaget y rappelle aussi la thèse selon laquelle les opérations numériques élémentaires dont est capable l'enfant à partir de 6-7 ans sont ou peuvent être conçues comme le produit de la fusion des opérations de classification et de sériation (les premières réunissant les objets à dénombrer, les secondes permettant de les ordonner et, donc, de les énumérer sans les confondre…).

En conclusion, Piaget souligne que la conception de la pensée logique présentée dans ces pages permet de concilier le caractère de nécessité attaché aux opérations logiques avec leur caractère constructif (tel qu'il avait été reconnu par le logicien français E. Goblot). Mais il reste à expliquer comment l'enfant parvient à cette forme de pensée logique qu'il partage avec l'adulte, ce que à quoi va s'atteler Piaget dans la suite de ce petit livre, en montrant comment le développement de l'intelligence "aboutit nécessairement à l'équilibre" propre aux différents systèmes d'opérations logiques décrits dans le présent chapitre.

1947.
La psychologie de l'intelligence.
2e partie: L'intelligence et les fonctions sensori-motrices. Chap.3: L'intelligence et la perception
Texte PDF mis à disposition le 14.02.2010
 - Présentation
[texte de présentation; version 21 déc. 2010]

Ce chapitre est le premier des deux chapitres composant la deuxième partie de "La psychologie de l'intelligence", partie qui a pour objet "L'intelligence et les fonctions sensori-motrices".

La question traitée ici par Piaget est celle des liens entre l'intelligence et la perception, ou plus précisément entre les propriétés générales des structures opératoires (décrites dans le précédent chapitre) et les propriétés des structures perceptives. Faut-il considérer, avec Helmholtz, que l'intelligence logique intervient sous la forme de raisonnements inconscients dans la structuration des données perceptives (irréductible à leur simple association), ou faut-il au contraire admettre que l'on retrouve dans le fonctionnement de l'intelligence les lois de bonnes formes mises en évidence sur le terrain de la perception par la Gestaltpsychologie? Avec l'aide de son collaborateur Marc Lambercier, Piaget va mettre au point de nombreuses et éclairantes recherches sur le développement des perceptions et des illusions perceptives chez l'enfant qui démontreront que ni la conception intellectualiste de la perception ni la conception gestaltiste ne permettent d'expliquer les particularités des structures perceptives et de leur développement supposés, pour les uns, découler de l'intervention du raisonnement inconscient, et pour les autres expliquer le fonctionnement et les succès de l'intelligence (exemplifiée par le phénomène de compréhension soudaine en situation de résolution de problèmes). Les recherches réalisés par Piaget sur le terrain de la perception révéleront la présence de mécanismes de centration perceptive (génératrice de déformation), de décentration (contrant les déformations), de transposition, de comparaison, d'anticipation, de régulation et donc de compensation qui, en tant qu'activités sensori-motrices (déplacements du regard, etc.), sont certes reliées au développement de l'intelligence de l'enfant, mais qui, tout en les préparant, ne peuvent aboutir aux compensations et aux régulations parfaites que manifestent les structures achevées de l'intelligence sensori-motrice (le groupement des déplacements des objets et du corps propre) puis les structures opératoires de l'intelligence représentative telle qu'elles se manifestent chez l'enfant de 6-7 ans et plus.

Hormis la brillante démonstration, expérimentalement fondée, que Piaget parvient à faire, en un petit nombre de pages, des rapports qui existent entre intelligence et perception (les régulations perceptives annonçant et préparant les régulations et opérations intellectuelles, et celles-ci rejaillissant en retour sur les premières), on trouvera dans ce chapitre une excellente synthèse des différentes thèses s'inscrivant dans le cadre de la Denkpsychologie et de la Gestaltpsychologie au sujet de ces rapports.

1947.
La psychologie de l'intelligence.
2e partie: L'intelligence et les fonctions sensori-motrices. Chap.4: L'habitude et l'intelligence sensori-motrice
Texte PDF mis à disposition le 22.02.2010
 - Présentation
[Texte de présentation; version au 29 décembre 2009]

Après avoir étudié les liens de l'intelligence, d'un côté, avec l'adaptation biologique (chap. 1) et, de l'autre, avec la logique (chap. 2), puis après avoir montré (chap. 3) l'irréductibilité des structures de la pensée et de l'intelligence opératoires par rapport aux structures perceptives décrites par la psychologie de la Gestalt, Piaget aborde en ce quatrième chapitre la question de l'existence ou de l'absence de liens entre la formation des habitudes et l'intelligence sensori-motrice telles qu'elles se manifestent avant le langage. Ce chapitre va ainsi être l'occasion pour son auteur de prendre position par rapport à deux autres courants importants de la psychologie de l'intelligence, à savoir celui des explications associationnistes de la formation des conduites psychologiques (intelligence comprise), ainsi que celui prolongeant sur le terrain de la psychologie l'explication par "variation(interne)-sélection(externe)" proposée par Darwin pour rendre compte de l'évolution des espèces. Parmi les thèses d'inspiration darwinienne examinées par Piaget, on relèvera surtout celle développée par Claparède à la suite de ses recherches psychologiques sur le tâtonnement plus ou moins dirigé et sur la "genèse de l'hypothèse", dans l'explication desquels les notions de besoin, de question (que se pose le sujet) ou encore d'implication (entre données de la situation) finissent par occuper une place centrale. Piaget reprendra cette thèse mais en la reformulant et en la modifiant profondément au moyen du cadre théorique mis en place lors de ses propres premiers travaux sur le jugement et le raisonnement chez l'enfant, puis sur la naissance et le développement des premières habitudes et de l'intelligence sensori-motrice chez le bébé — cadre dans lequel les notions de schème, d'assimilation, d'accommodation et d'équilibre fondent celles de besoin et d'implication.

Si le bébé naît avec des schèmes instinctifs très fortement prédéterminés d'échanges avec le milieu, très vite s'acquièrent à partir de ces schèmes de premières habitudes, ou réactions circulaires primaires, telles que celle de la succion du pouce (dont on sait aujourd'hui qu'elle peut d'ailleurs s'acquérir au cours de la vie fœtale par simple répétition d'un comportement ayant fortuitement conduit à un résultat plaisant ou retenant l'attention), ou, 2-3 mois plus tard, de premières réactions circulaires secondaires impliquant le milieu (par exemple, agiter ses membres pour provoquer le balancement d'un objet suspendu au berceau). La genèse des premières conduites intelligentes peut-elle s'expliquer par le mécanisme de formation de ces habitudes élémentaires et de telles "réactions circulaires secondaires"? Piaget va ici s'appuyer sur les résultats de son étude approfondie de la naissance de l'intelligence chez ses trois enfants pour montrer l'existence d'un lien de continuité entre les acquisitions de ces deux pôles des conduites sensori-motrices que sont les habitudes élémentaires puis les comportements sensori-moteurs intelligents, mais sans que les seconds se laissent réduire aux premiers. L'affirmation d'un tel lien n'implique nullement l'acceptation de l'ancienne théorie associationniste selon laquelle les comportements intelligents d'adaptation moyen-fin ne seraient que le résultat d'associations automatiques de chaînes de comportements élémentaires eux-mêmes préalablement acquis par un même mécanisme associatif. Si communauté partielle de mécanisme il y a entre la formation d'une habitude et le fonctionnement de intelligence sensori-motrice, elle concerne le processus d'assimilation/accommodation par lequel toute entité vivante — y compris les schèmes de comportement — interagit activement avec son milieu, processus qui prend d'ailleurs des formes très différentes d'un niveau de comportement à l'autre. Aussi la reconnaissance d'un tel lien de continuité fonctionnelle entre l'habitude élémentaire et le comportement intelligent sensori-moteur n'implique-t-elle en rien que le second se laisse réduire à la première (ni d'ailleurs à toute habitude, quel que soit son degré de complexité et à la part que l'intelligence aurait pu prendre dans sa formation). Le comportement intelligent est à la base un procédé par lequel le sujet poursuit activement un nouveau but et l'atteint par l’un ou l’autre des schèmes d’action déjà en sa possession ou par des moyens qu'il s'agit de découvrir ou d'inventer. Les habitudes qui se manifestent dans les premiers mois de la vie, sont au contraire des schèmes de comportement acquis grâce à des découvertes fortuites et répétés dans la mesure où ils suscitent du bien-être ou aboutissent à des effets (non recherchés) retenant l'attention. De telles habitudes pourront certes entrer à titre de moyens dans la constitution de comportements intelligents. Une telle intégration ne sera cependant plus le fruit involontaire d'une découverte fortuite, mais le résultat d'une recherche intentionnelle de moyens permettant au sujet d'atteindre un but préalablement fixé. Cette recherche pourra se faire par des tâtonnements plus ou moins orientés par l'expérience préalablement acquise. Au fur et à mesure du développement de l'intelligence sensori-motrice, ce tâtonnement pourra être de moins en moins aveugle, jusqu'à disparaître en certaines situations pour laisser place à des inférences reposant sur des combinaisons intériorisées ou mentales d'actions et donc de schèmes d'assimilation sensori-moteurs préalablement acquis (comme c'est le cas par exemple de l'enfant d'environ 18 mois qui saura trouver du premier coup un chemin détourné pour atteindre un objet non directement accessible, ou comme les chimpanzés de Kœhler, qui sauront édifier une sorte d'escabeau pour saisir un fruit suspendu au plafond ou inventer la conduite du bâton pour atteindre un objet hors de portée).

En un mot, alors que l'habitude sensori-motrice est un comportement essentiellement répétitif aboutissant à un résultat plus ou moins attendu sans que le sujet ait eu à rechercher et découvrir le lien de moyen à fin existant entre ce comportement et son résultat, l'intelligence sensori-motrice est un comportement orienté activement vers l'utilisation, la découverte ou l'invention de moyens permettant d'atteindre un but préalablement fixé. (Par la suite, un tel comportement pourra certes, comme l'habitude, être répété dans une situation similaire à celle où il a été acquis, mais il restera un comportement intelligent dans la mesure seulement où le sujet pourra, si nécessaire, l'adapter aux particularités de la nouvelle situation par le même mécanisme général de coordination intentionnelle et dirigée des moyens et des fins.) En tous ces cas cependant, ce qui engendre de nouvelles habitudes ou ce qui permet de découvrir ou d'inventer le moyen d'atteindre un but préalablement fixé, ce sont des schèmes d'action (et de perception) assimilant les milieux respectifs avec lesquels ils interagissent et auxquels ils s'accommodent, ou s'assimilant mutuellement de manière à donner naissance à de nouveaux schèmes, de nouvelles habitudes ou de nouveaux comportements intelligents.

Ce quatrième chapitre apparaît ainsi comme un excellent résumé du livre de 1936 sur "La naissance de l'intelligence chez l'enfant" (JP36), mais un résumé très synthétique dont la pleine compréhension exige que l'on ait à l'esprit quelques-unes au moins des observations répertoriées dans les six niveaux de conduites sensori-motrices décrites dans cet ouvrage de 1936 (1. schèmes réflexes ou instinctifs, 2. réactions circulaires primaires ou premières habitudes acquises, 3. réactions circulaires secondaires et début de différenciation moyen-fin, 4. premières coordinations moyens-fins intentionnelles, 5. réactions circulaires tertiaires avec expérimentation et découverte de nouveaux moyens par tâtonnements plus ou moins dirigés, 6. inventions de moyens nouveaux par combinaison mentale — sans expérimentation effective — de schèmes d'actions non extériorisés, et par déduction prélogique de conséquence directement fondée sur l'effet anticipé de ces actions par rapport au but visé). On y trouve également un résumé tout aussi synthétique, relié d'ailleurs à ce qui a été rapporté du développement de la perception, de l'habitude et de l'intelligence sensori-motrice, des étapes franchies par le bébé pour construire, par décentration progressive de l'action propre, le schème de l'objet permanent ainsi que pour construire les schèmes sensori-moteurs de placement et de déplacement spatiaux des objets et du corps propre, le groupement pratique et objectif de ces déplacements sur le plan de l'intelligence perceptivo-motrice annonçant, par ses propriétés de structure, la future construction, sur le plan de la pensée représentative, des groupements d'opérations spatiales chez les enfants de 8-10 ans.

Piaget peut donc, en conclusion, reconnaître la vérité partielle de la théorie de la Gestalt réunifiant la perception, l'habitude et l'intelligence, mais à condition de réinterpréter cette «unité des mécanismes» «dans le sens de l'activité du sujet, donc de l'assimilation, et non pas dans celui de formes statiques imposées indépendamment du développement» psychologique (p. 121). Cette brève citation, ainsi que ce qui a été rapporté plus haut de la réinterprétation par Piaget de la théorie de l'intelligence soutenue par Claparède, illustre combien la conception piagétienne des fonctions intellectuelles apparaît comme un véritable dépassement avec intégration des théories précédemment proposées en psychologie scientifique.

1947.
La psychologie de l'intelligence.
3e partie: Le développement de la pensée. Chap.5: L'élaboration de la pensée. Intuition et opérations
Texte PDF mis à disposition le 28.02.2010
 - Présentation
[Texte de présentation; version au 1 janvier 2010]

Après un bref examen des différences entre l’intelligence sensori-motrice et l’intelligence conceptuelle, ce chapitre présente les différentes étapes qui mènent des débuts de la représentation (c’est-à-dire de l’usage de symboles — images et imitation différée — et de signes — mots et phrases du langage — pour concevoir des réalités absentes) jusqu’à l’intelligence opératoire, d’abord concrète, puis formelle.

La première étape, de 2 à 4 ans, est composée de deux groupes d’activités: 1. celui de la pensée symbolique, composée, à la base, d’imitations différées ou d’images d’événements ou de réalités non actuellement perçus, et dans la production desquelles domine momentanément le pôle accommodateur de cette forme de pensée, et de l’autre côté du jeu symbolique, qui assimile —sans souci d’exactitude quant aux réalités représentées— imitations, images et production verbales en leur donnant une signification liée à l’activité ludique en cours); 2. l’autre groupe d'activités relève de la pensée intelligente préconceptuelle, c’est-à-dire tendant à s’adapter au réel, mais qui ne dispose comme instruments d’assimilation logique que de préconcepts exprimés au moyen des premiers signes verbaux et d'images mentales (sans différenciation entre individu et classe, comme le montre l’exemple prototypique de Jacqueline, fille aînée de Piaget, pour laquelle une expression comme "la limace" énoncée par elle lors d’une promenade représente un être mi-individuel-mi-collectif, l’enfant assimilant les limaces successivement perçues lors de cette promenade à l’exemplaire privilégié de la première limace rencontrée, ou encore l’exemple de l’enfant qui appelle "papa" tout monsieur fumant une pipe), et de raisonnements préconceptuels ou transductions (procédant par exemple, en l’absence d’une logique des classes et des relations, par des assimilations directes entre faits, comme dans l’exemple —observation 112 dans JP45, p. 245— de la même Jacqueline qui, à 2 ans et 1 mois, déduit qu’un jeune enfant voisin n’a plus de bosse après que que son père l’a informée que cet enfant, auquel elle n’avait pas pu rendre visite un jour auparavant, n’avait plus la grippe qui le clouait précédemment au lit; pour Jacqueline, guérir de la grippe impliquait du même coup guérir de la bosse, identifiée par elle à une maladie à la suite d’une explication de son père). (On relèvera en passant qu’il n’est pas impossible de trouver chez l’enfant plus âgé comme chez l’adulte nombre de raisonnements transductifs, le fait d’atteindre un niveau plus élevé de compétence intellectuelle n’impliquant nullement la disparition des conduites propres aux niveaux précédemment atteints, et, en l’occurrence, de trouver des conduites prélogiques chez les sujets de niveau opératoire…)

La deuxième étape, de 4 à 7 ans environ, est celle des intuitions (ou représentations) articulées. L’enfant prend en considération les transformations du réel, mais en les concevant de manière unidimensionnelle et unidirectionnelle et en se centrant sur l’état auquel la modification considérée aboutit, sans donc les relier les unes aux autres, comme ce sera le cas à l’étape des (re)groupements d’opérations logiques. Piaget illustre son propos en rappelant les nombreuses observations recueillies à propos du développement du nombre (mettre des jetons en correspondance, ajouter un à un des billes dans deux bocaux de formes différentes, etc.), de la logique (classification, sériation), de l’espace (coordination des perspectives, ordre de placement de trois perles de couleur différente enfilées sur une tige, après rotation de 180°, de 360° de -180°, etc., de la tige), de la vitesse et du temps (durée de déplacement de deux mobiles en fonction de la simultanéité ou non des départs et des arrivées, ou de la vitesse des mobiles et de l’espace parcouru, ou encore compréhension de la notion d’âge, etc.), de la causalité, mais aussi de l’intelligence pratique (coordination moyen-fin). Ainsi, l’enfant qui a vu une boule de plasticine s’allonger (sans ajout de pâte) en déduira un accroissement de quantité de plasticine, jusqu’au moment où son attention ne portera plus sur l’allongement, mais sur l’amincissement de la boule, ce qui le conduira à affirmer que, dès lors, il y a moins de plasticine, etc. L’enfant ne peut mettre en rapport les unes avec les autres les différentes transformations qui interviennent lors de l’action sur la boule, pas plus qu’avec les transformations virtuelles découlant de l’opération inverse sur celle-ci, ni avec le fait que rien n’a été ajouté ou enlevé à la boule lors de cette action. Si chaque intuition de ce niveau ne cesse de rapporter une transformation au seul état d’arrivée de la dimension retenue auquel la transformation globale de la boule conduit, ces intuitions, sans former de groupement, sont cependant articulées ou reliées les unes aux autres par l’intervention de régulations orientant alternativement les centrations sur l’une ou l’autre des dimensions impliquées par l’action sur la boule.

La troisième étape est celle des groupements concrets d’opérations logiques et infralogiques déjà présentés dans le premier chapitre de l’ouvrage, mais qui ici sont rapportées à l’étude effective de leur genèse exposée dans les ouvrages sur le nombre, la classification, la sériation, l’espace, les quantités physiques, etc.

Enfin la quatrième étape, très brièvement résumée par Piaget, est celle des opérations formelles, ici exclusivement identifiées aux opérations propres à la logique des propositions, logique réfléchissant sur le plan verbal, en l’absence de tout matériel concret, les opérations acquises lors de la troisième étape. Toutefois la description de cette dernière étape présentée dans cet ouvrage de 1947 sera rapidement rendue en grande partie caduque à la suite des recherches réalisées par Bärbel Inhelder sur les "attitudes expérimentales chez l’adolescent" (BI54), recherches qui révéleront d’une part que les opérations sur les opérations de la troisième étape (combinaison de propositions exprimant des emboîtements de classes, sériation de sériations, etc.) composent des structures opératoires nouvelles, dont le groupe INRC parallèlement et formellement découvert par Piaget lors de la composition de son traité de logique opératoire (JP49), et d’autre part que ces opérations au second degré voire de degré plus élevé encore, ne concernent pas que le regroupement des opérations reliant les unes aux autres les propositions logiques exprimant le résultat des opérations concrètes de la troisième étape, mais également le regroupement d’opérations agissant elles aussi, comme les opérations de la pensée concrète, non pas de manière purement verbales, mais sur des objets matériels ou sur leur représentation symbolique, et plus précisément sur l'organisation logico-mathématique d’ensembles de tels objets ou de leurs représentations symboliques (voir par exemple l’expérience sur les combinaisons de corps chimiques rapportée dans JP55, chapitre VII).

Ce chapitre 5 de La psychologie de l’intelligence se termine par deux brèves sections: l’une, qui a pour titre "La hiérarchie des opérations et leur différenciation progressive", dans laquelle Piaget souligne l’un des aspects les plus marquant du développement de l’intelligence, à savoir l’extension croissante et la complexité de plus en plus grande des réalités avec lesquelles le sujet interagit au cours de ce développement; et l’autre dans laquelle Piaget présente les premiers résultats pratiques de la théorie opératoire de l’intelligence présentés par B. Inhelder dans sa thèse sur Le diagnostic du raisonnement chez les débiles mentaux (BI43).

1947.
La psychologie de l'intelligence.
3e partie: Le développement de la pensée. Chap.6: Les facteurs sociaux du développement intellectuel
Texte PDF mis à disposition le 27.10.2008
 - Présentation
[Nous remercions Loïc Ballarini, doctorant en Sciences de l’information et de la communication, pour le soin pris à lire ce chapitre, ce qui lui a permis de détecter une erreur dans notre édition électronique du texte ci-joint: à l'avant-dernière ligne de la page 197, c'est "au sens propre, des co-opérations" qu'il faut lire (et non pas des "coopérations").]

Ce texte est le sixième chapitre de l'ouvrage sur "La psychologie de l'intelligence", publié en 1947 aux éditions Armand Colin. Piaget y expose en quelques pages et de manière très claire sa conception des interactions individu-société, et la façon dont les échanges sociaux sont une condition du développement de la pensée logique.

1947.
La psychologie de l'intelligence.
Conclusion. Rythmes, régulations et groupements
Texte PDF mis à disposition le 11.04.2010
 - Présentation
[Texte de présentation. Version électronique au 8 avril 2010.]

Ce texte contient la conclusion et la table des matières du volume issu des leçons données en 1942 au Collège de France sur "la psychologie de l'intelligence". Le chapitre de conclusion montre les liens de filiation et de dépassement entre les trois grands types de structures de comportements (rythmes, régulations et groupements) observées dans la genèse des activités sensori-motrices, perceptives et enfin intellectuelles.

1948 avec Bärbel Inhelder.
La représentation de l’espace chez l’enfant. Partie I : Introduction et rapports topologiques élémentaires.
Chap. 1: Espace perceptif, espace représentatif et représentation des formes (perception stéréognostique)
Texte PDF mis à disposition le 22.04.2014

1948 avec Bärbel Inhelder.
La représentation de l’espace chez l’enfant. Partie I : Rapports topologiques élémentaires.
Chap. 2: Les rapports spatiaux élémentaires et le dessin: «L’espace graphique»
Texte PDF mis à disposition le 06.05.2014

1948 avec Bärbel Inhelder.
La représentation de l’espace chez l’enfant. Partie I : Rapports topologiques élémentaires.
Chap. 3: L’ordre linéaire et l’ordre cyclique
Texte PDF mis à disposition le 23.12.2014

1948 avec Bärbel Inhelder.
La représentation de l’espace chez l’enfant. Partie I : Rapports topologiques élémentaires.
Chap. 4: Les nœuds et les rapports d’enveloppement
Texte PDF mis à disposition le 04.03.2015

1948 avec Bärbel Inhelder.
La représentation de l’espace chez l’enfant. Partie I : Rapports topologiques élémentaires.
Chap. 5: Les notions du point et du continu
Texte PDF mis à disposition le 02.04.2015

1948 avec Bärbel Inhelder.
La représentation de l’espace chez l’enfant. Partie II : L’espace projectif.
Avant-propos et Chap. 6: La droite projective et la perspective
Texte PDF mis à disposition le 07.12.2015

1948 avec Bärbel Inhelder.
La représentation de l’espace chez l’enfant. Partie II : L’espace projectif.
Chap. 7: La projection des ombres
Texte PDF mis à disposition le 15.01.2016

1948 avec Bärbel Inhelder.
La représentation de l’espace chez l’enfant. Partie II : L’espace projectif.
 Chapitre 8: La mise en relation des perspectives
Texte PDF mis à disposition le 04.11.2008
 - Présentation
Soit la maquette (de forme carrée) d’un paysage composé de trois montagnes de différentes grandeurs dont deux d’entre elles ont à leur sommet soit une église soit une croix, et dont la vision est différente selon le côté à partir duquel on se situe pour les regarder. Les enfants interrogés dans cette recherche sont invités à décrire ce que voit ou ce que verrait un personnage situé non pas à la même place qu’eux, mais sur l’un ou l’autre des trois autres côtés de la maquette à partir desquels les montagnes sont regardées (ou sont invités à sélectionner le dessin représentant correctement ce qui est vu à partir de ces côtés). Ce chapitre expose les stades franchis par les enfants dans leur capacité de se représenter ce qui est perçu à partir de ces différents points de vue. Les résultats montrent que c’est seulement vers 8-9 ans que les sujets résolvent correctement ce type de problème, alors même que dès le milieu de la deuxième année un jeune enfant sait retourner des objets (par exemple un biberon) pour en percevoir les parties cachées. Avant de parvenir à une telle représentation correcte des perspectives autres que la sienne, l’enfant ne peut que les assimiler à celle-ci (= "égocentration" intellectuelle) —non sans malaise possible, puisqu’il peut pressentir que ce qui est vu sous un autre angle n’est pas forcément identique à ce que l’on voit de son propre point de vue—, ou alors s’appuyer sur le souvenir de ce qui a été vu à partir des autres points de vue.

Ce chapitre est l’une des meilleures illustrations que l’on ait du développement général de l’intelligence représentative, en ce sens que l’on y perçoit clairement comment ce développement est avant tout affaire de décentration et de coordination des points de vue, mais aussi de (re)construction déductive de représentations non préalablement perçues et mémorisées — en d’autres termes, que la représentation n’est pas affaire que de souvenirs, mais aussi d’opérations mentales par lesquelles sont construits l’espace et le temps dans lesquels sont placés les contenus représentés. Il annonce aussi les futures recherches post-piagétiennes sur les états mentaux d’autrui, puisqu’il s’agit ici, pour les enfants, de concevoir et d’imaginer ce que se représente autrui lorsque celui-ci n’a pas le même point de vue sur une réalité pourtant commune (ici, la maquette d’un paysage).

1948 avec Bärbel Inhelder.
La représentation de l’espace chez l’enfant. Partie II : L’espace projectif.
Chap. 9: Les opérations de section
Texte PDF mis à disposition le 22.02.2016
 - Présentation
Chapitre mis à disposition le 20 février 2016.

1948 avec Bärbel Inhelder.
La représentation de l’espace chez l’enfant. Partie II : L’espace projectif.
Chap. 10: Les «rabattements» et «développements» des surfaces
Texte PDF mis à disposition le 21.09.2016

1948 avec Bärbel Inhelder.
La représentation de l’espace chez l’enfant. Partie II : L’espace projectif.
Chap. 11: Les transformations affines du losange et la conservation des parallèles
Texte PDF mis à disposition le 23.05.2017

1948 avec Bärbel Inhelder.
La représentation de l’espace chez l’enfant. Partie II :
Chap. 12: Les similitudes et les proportions
Texte PDF mis à disposition le 11.06.2020
 - Présentation
Le chapitre 12 n’a pas fait l’objet d’une relecture finale. Merci de nous faire part de vos remarques permettant de procéder à la révision de ce chapitre en envoyant un courriel...

1948 avec Bärbel Inhelder.
La représentation de l’espace chez l’enfant. Partie III : Passage de l’espace projectif à l’espace euclidien.
Chap. 13: Les systèmes de référence et les coordonnées. L’horizontale et la verticale.
Texte PDF mis à disposition le 27.02.2018
 - Présentation
Le chapitre 13 n’a pas fait l’objet d’une relecture finale. Merci de nous faire part de vos remarques permettant de procéder à une ultime révision de ce texte en envoyant un courriel à J.-J. Ducret.
La table des matières et l’avant propos du livre peuvent être téléchargés à partir de la page Chapitres de 1941 à 1950 du site de la Fondation Jean Piaget.

1948 avec Bärbel Inhelder.
La représentation de l’espace chez l’enfant. Partie III : Passage de l’espace projectif à l’espace euclidien.
Chap. 14: Les schémas topographiques et le plan du village
Texte PDF mis à disposition le 27.02.2018
 - Présentation
Le chapitre 14 n’a pas fait l’objet d’une relecture finale. Merci de nous faire part de vos remarques permettant de procéder à une ultime révision de ce texte en envoyant un courriel à J.-J. Ducret.

La table des matières et l’avant propos du livre peuvent être téléchargés à partir de la page Chapitres de 1941 à 1950 du site de la Fondation Jean Piaget.

1948.
La représentation de l’espace chez l’enfant.
Chap. 15: Conclusions: l’intuition de l’espace
Texte PDF mis à disposition le 03.08.2015

1949.
Traité de logique: essai de logistique opératoire.
Introduction
Texte PDF mis à disposition le 12.09.2010
 - Présentation
[Texte de présentation. Version au 13 août 2010.]

Précédée d’une nouvelle et plus brève introduction propre à la deuxième édition dans laquelle Piaget résume l’orientation et les résultats principaux, quelquefois incompris, de son « Traité de logique » de 1949 (réintitulé « Essai de logique opératoire » en 1972) et remercie J.-B. Grize qui a révisé la présentation de l’ouvrage, l’introduction à la première édition porte sur la nature de la science logique, sur son objet, son autonomie de méthode et sur ses rapports avec l’épistémologie, la psychologie (et la psychosociologie), et les mathématiques.

Entre autres observations et considérations, Piaget souligne la façon dont la logique s’est méthodologiquement rapprochée des mathématiques dès le milieu du XIXème siècle dans la mesure même où, inversement, elle s’est dissociée de l’analyse philosophico-psychologique du jugement et du raisonnement, en devenant de ce fait une discipline scientifique à part entière. La dissociation qui s’est produite alors entre la logique et la psychologie de par l’autonomisation de leur méthode respective n’implique cependant en rien une absence de correspondance possible entre leurs problèmes respectifs. A toute structure formelle et axiomatisée que construit le logicien correspond une structure réelle de pensée, que ce soit dans la pensée commune ou que ce soit dans la seule pensée du logicien. Et pour toute structure réelle de pensée qu’étudie par ses méthodes le psychologue, le psychosociologue ou le sociologue se pose le problème logique de sa formalisation.

Inversement, le rapprochement qui s’est produit entre les méthodes du logicien et celles du mathématicien n’implique en rien une réduction des structures mathématiques aux structures logiques. Aux yeux de Piaget, la relation entre la logique et les mathématiques est un cas particulier des relations d'assimilation réciproque qui peuvent se produire entre sciences voisines à la fois par leurs méthodes et leurs objets respectifs. Piaget rappelle à ce sujet les propres constats qu’il a été amené à établir quant à certaines différences importantes entre les objets des deux disciplines, et notamment ce qui caractérise les quantifications logiques, qui portent sur les rapports de parties à tout et de complémentarité, alors que les mathématiques considèrent également les relations quantitatives entre parties.

Dans la dernière partie de son introduction de 1949, Piaget, après une vigoureuse défense de la logique algébrique et de la méthode de formalisation face aux critiques que certains logiciens (en l’occurrence E. Goblot) lui adressaient au début du 20ème siècle, se distance cependant de la vision atomistique de l’activité de formalisation chez les logiciens (Russell, le premier Wittgenstein, et bien d'autres) de la première moitié du 20ème siècle, vision trop dépendante d’anciennes conceptions philosophiques et psychologiques, et qui lui paraît dépassée par l’approche structuraliste propre aux mathématiques, mais également à la psychologie ou encore à la linguistique contemporaines. Prenant le contre-pied de cette attitude atomistique, les chapitres suivants seront une illustration de l’importance primordiale accordée à l’analyse des structures dans l’étude formalisante de la logique des classes, des relations et des propositions, ainsi qu’à la mise en rapport des structures logiques ainsi dégagées avec celles propres aux ensembles mathématiques et au nombre.

1949.
Traité de logique: essai de logistique opératoire.
Avant-propos
Texte PDF mis à disposition le 10.12.2010
 - Présentation
[Texte de présentation. Version au 6 octobre 2010.]

Ce bref avant-propos (de 3 pages et demi) est intéressante. Piaget s'y décrit en tant que "logicien formé par la psychologie", par opposition aux "logiciens de métier" tels que Russell, Wittgenstein ou Carnap, qui sont des mathématiciens ayant investi la science logique en y apportant une grande exigence de rigueur et de précision, mais en entreprenant des démarches réductionnistes qui tendent à perdre de vue les différences de nature entre la logique et les mathématiques. Plus tard, et notamment dans la deuxième édition du traité, Piaget, tout en conservant toutes les thèses formulées dans la première édition, fera œuvre de prudence en ne présentant plus son travail comme étant celui d'un logicien, de métier ou non. A notre sens, ces thèses n'ont toujours pas retenu l'attention qu'elles méritent en tant que modélisant des démarches effectives de la (pensée) logique élémentaire (celle à l'œuvre dans les activités de classification naturelle, ou encore dans la représentation et la conception des relations familiales à l'intérieur d'un arbre généalogique). Seuls quelques mathématiciens les ont considérées avec sérieux, dont Seymour Papert, l'un des plus proches collaborateurs de Piaget…

1950.
Introduction à l'épistémologie génétique.
Préfaces de 1950 et 1973.
Texte PDF mis à disposition le 26.05.2011

1950.
Introduction à l'épistémologie génétique (I).
 Introduction [générale]
Texte PDF mis à disposition le 18.03.2009
 - Présentation
Cette introduction générale aux trois volumes d'"introduction à l'épistémologie génétique" peut être décomposée en quatre parties. Dans la première, Piaget présente cette nouvelle discipline qu’il propose à la communauté scientifique et qui est fondée sur l’adoption de méthodes proprement scientifiques; dans la seconde, il expose les grandes solutions classiquement apportées au problème de la connaissance; dans la troisième, il discute un des problèmes centraux de l’épistémologie: le passage, s’il existe, entre le devenir génétique et l’atemporalité des normes logiques; enfin, dans la quatrième partie, il développe quelques réflexions fondamentales quant au cercle sujet-objet propre à tout accroissement des connaissances, et son prolongement, le cercle des sciences. Ajoutons que sont aussi présentées et discutées dans cette introduction l’œuvre épistémologique du mathématicien et philosophe italien F. Enriques, dans la mesure où cette œuvre permet de préciser la spécificité de l’épistémologie génétique, qu’elle anticipait pourtant à bien des égards. Si F. Enriques n’a pas pu aboutir à une solution génétique convaincante, la raison en est qu’il a construit son épistémologie à partir de l’ancienne psychologie associationniste, et non pas de cette psychologie de l’action à laquelle se ralliera Piaget dès ses premiers travaux.

(I) En ce qui concerne la première partie, Piaget présente une nouvelle fois le projet d’une épistémologie scientifique susceptible de conduire à l’accord des esprits sur des problèmes relevant classiquement de la philosophie, mais délimités de manière à pouvoir rendre possible l’application de méthodes scientifiques conditionnant un tel accord. Ce faisant, elle ne fera que suivre le procédé utilisé par les sciences de la nature lorsque elles se sont détachées de la philosophie. Si le tour est venu à l’épistémologie d’accomplir cette démarche, celle-ci est accélérée par le fait que, de manière trop générale, la philosophie universitaire a laissé se creuser un fossé entre elle-même et les sciences. Piaget observe que ce pas a d’ailleurs été esquissé avant lui, notamment par des historiens des sciences ou par des savants intéressés par les questions épistémologiques.

En proposant dans son introduction cette épistémologie génétique dont il a jeté les bases dès les années 1920, Piaget ne fait que conduire à son terme son détachement. Il le fait en premier lieu en lui attribuant comme objectif particulier, non plus de donner d’emblée une réponse à la grande question du rapport de la connaissance (considérée dans sa totalité) à la réalité, mais de chercher à connaître comment se fait l’accroissement de connaissances particulières, propres à chacune des sciences existantes (la logique, les mathématiques, etc.).

En deuxième lieu, vient l’examen des méthodes à adopter pour pouvoir tendre à l’accord des esprits sur les réponses à apporter aux questions particulières soulevées quant à l’accroissement des connaissances dans les sciences logiques, mathématiques, physiques, etc. Piaget suggère de s’inspirer des démarches adoptées par la biologie de l’évolution, ce qui est à ses yeux tout à fait naturel, puisque l’activité cognitive des êtres vivants est le prolongement des processus par lesquels les espèces ou les êtres vivants se sont progressivement adaptés à leur milieu.

Pour connaître les filiations entre les espèces, la biologie a donné naissance aux deux grands sous-domaines de l’anatomie comparée et de l’embryologie (qui toutes deux étudient les structures du vivant. La première porte sur les formes adultes. Certaines filiations entre espèces peuvent être établies par ce biais. Mais cette méthode ne peut atteindre les rapports de filiation les plus anciens. L’embryologie fournit ici un appoint essentiel en conduisant à la mise en évidence de ces liens restés cachés. Or, il en va en partie de même en ce qui concerne cette nouvelle science qu’est l’épistémologie. Hormis la démarche de formalisation qui permet de répondre à des questions de fondements logiques, l’épistémologie a fait un large usage de la méthode historico-critique. Cette méthode permet d’étudier le problème de l’accroissement des connaissances dans une foule de chapitres particuliers de l’histoire des sciences et d’apporter ainsi de nombreux faits susceptibles d’apporter des éléments de réponses aux questions de l’épistémologiste. Il y a cependant une limite: il n’est pas possible de remonter aux sources les plus anciennes des sciences, sources qui se trouvent dans les étapes préscientifiques de l’histoire de l’humanité. Mais de même que l’embryologie permet d’une certaine façon de remonter plus haut que l’anatomie comparée portant sur les formes abouties des espèces, de même une nouvelle discipline, la psychologie génétique, offre une issue à l’épistémologiste soucieux de remonter à ces sources. L’étude du développement des notions physiques, logico-mathématiques chez l’enfant permet d’atteindre en effet des structures de pensée et les notions qui leur sont liées dont on peut supposer qu’elles sont au moins partiellement similaires à celles qui pouvaient se trouver chez les anciens humains. Bien sûr, les enfants d’aujourd’hui sont nourris par la pensée adulte qui les entourent (cette dimension là de l’accroissement des connaissances chez l’enfance relève de ce que Piaget appelle alors la méthode sociologico-critique, méthode qui complète l’étude historico-critique de la progression des connaissances). Mais il n’empêche que pour assimiler ce qui leur est ainsi transmis, ils passent par des étapes qui ne sont pas le reflet des enseignements reçus, mais qui illustrent des formes de pensée et des étapes de développement des notions qui ont précédé les formes de la pensée adulte et de la science actuelle.

(II) La deuxième partie consiste en la présentation de six types de solution possible au problème central de l’accroissement des connaissances — six types qui se distribuent en un tableau à double entrée, selon que (1) les solutions proposées sont ou ne sont pas génétiques (la recherche pourrait mettre en évidence un accroissement fictif en ce qui concerne les connaissances les plus fondamentales, en corroborant par exemple une solution de type platonicienne), et selon que (2) ces solutions attribuent l’essentiel de l’origine des connaissances examinées soit au sujet, soit à l’objet, soit enfin à la relation indissociable que constitue le couple sujet-objet (toute activité cognitive porte sur des objets, mais inversement, toute saisie d’un objet quel qu’il soit implique un cadre d’assimilation inhérent au sujet). Bien que la solution qui sera finalement retenue par Piaget soit génétique et interactionniste (donc basée sur le caractère indissociable du couple sujet-objet, et plus précisément sur le cercle sujet-objet qui sera exposé dans la troisième section de l’introduction), l’auteur montre que chacune des six solutions épistémologiques pourrait se voir confirmée par les méthodes psychogénétique et historico-critique de l’épistémologie génétique. Notons au passage que ce tableau des solutions possibles sera repris et complété par Piaget dans son chapitre final de l’ouvrage collectif Logique et connaissances scientifiques publié en 1967).

(III) La troisième partie expose et discute le problème central auquel se heurte les trois familles de solutions génétiques (l’empirisme, le conventionnalisme, le relativisme): le problème du rapport entre une genèse qui procède dans le temps et des normes proprement intemporelles. Toutes trois font l’hypothèse que les formes et normes logiques ne sont pas données dès le départ, serait-ce virtuellement. Mais l’épistémologie génétique se fait plus précise: elle renverse les relations de prééminence classiquement conçues entre le réel et le possible, ainsi qu’entre l’action et la pensée. Au début de la psychogenèse, le réel peut primer sur le possible et l’action constituer le socle à partir duquel s’édifie la pensée; or, si les faits livrés par l’enquête psychogénétique corroborent cette solution, ils permettraient du même coup de rendre moins énigmatique ce passage du "devenir mental" à la "permanence normative".

(IV) Piaget se penche ensuite sur la question du cercle sujet-objet et de son prolongement que constitue le cercle ou la spirale des sciences, avec ces deux mouvements complémentaires que sont la mathématisation du réel, et, dans le sens inverse, la recherche d’une explication naturelle de l’origine des mathématiques. Il achève alors son introduction en examinant, en rapport avec cette question, le problème méthodologique posé par le rapport entre l’épistémologie génétique et les sciences contemporaines — sciences qui fournissent à celle-ci le référentiel, (c’est-à-dire les connaissances actuelles et la conception que l’on se fait aujourd’hui du réel) au moyen duquel elle étudie les étapes dont elles sont issues! Cette épistémologie ne saurait en effet ni juger que ces connaissances ne puissent à leur tour être dépassées dans le futur, ni considérer que la question des frontières entre le sujet et l’objet soit définitivement tranchée, puisque ce que l’on désigne aujourd’hui comme réalité peut changer en fonction du progrès des sciences. Tout au plus les solutions partielles auxquelles est parvenue l’épistémologie génétique à travers son analyse des différences sciences actuelles et de leurs étapes passées peuvent-elles révéler une orientation générale de la marche des sciences, ou une sorte de «loi générale d’évolution», illustrée dans le cas de la question du cercle sujet-objet et de son prolongement dans le cercle des sciences par les deux mouvements contraires et complémentaires de réduction des mathématiques au réel et de mathématisation de la nature, qui tous deux infirment respectivement l’idéalisme absolu et le matérialisme absolu. Précédemment, Piaget avait d’ailleurs mentionné une autre orientation générale des sciences susceptible d’être tirée des études d’épistémologie restreinte relatives aux différents domaines et sous-domaines des sciences, à savoir le passage d’un état de moindre connaissance vers un état de connaissance plus avancé, passage pouvant être expliqué par un processus général d’équilibration, dont on peut supposer, sans trop céder à la spéculation, qu’il continuera de fonctionner dans le futur. Ainsi ce que Piaget appelle l’épistémologie génétique restreinte (basée sur des recherches particulières) pourrait-elle permettre de rejoindre en partie, mais en partie seulement, les grandes interrogations posées classiquement en philosophie de la connaissance, en apportant des réponses plus scientifiquement fondées.

1950.
Introduction à l'épistémologie génétique (I).
La pensée mathématique: Avant-Propos et Chapitre 1: La construction du nombre
Texte PDF mis à disposition le 02.01.2010
 - Présentation
[version 10 déc. 2009]

Après avoir brièvement décrit en avant-propos les rapports des mathématiques à la réalité physique et les problèmes épistémologiques majeurs soulevés par ces rapports, Piaget se penche sur la question de l'origine et de la signification épistémologiques du nombre.

En ce qui concerne les nombres entiers, Piaget montre comment les résultats des recherches psychogénétiques et des esquisses de modélisations logistiques qui s'y rattachent peuvent contribuer à progresser dans l'ancien débat qui opposait les tenants (dont Bertrand Russell) d'une complète réduction des nombres aux entités plus élémentaires de la logique (la classe logique pour le cardinal d'un nombre, l'ordre asymétrique logique pour le nombre ordinal) aux tenants (dont Poincaré) d'une intuition numérique irréductible aux être logiques. Des résultats de ces recherches Piaget conclut que, si le nombre n'est en effet pas entièrement réductible aux notions logiques de classe et de relation asymétrique logiques, le parallélisme de développement entre classe, relation et nombre suggère que la construction de ce dernier s'appuie en partie sur la construction des deux premières, ce qui conforte la position de Brunschvicg qui, à partir d'une analyse épistémologique serrée de la notion de nombre naturel, concluait à l'impossibilité de concevoir un nombre indépendamment de la prise en considération de la double dimension d'inclusion et de sériation qu'il renferme implicitement.

Pour Piaget d'ailleurs, si réduction il y a entre, d'un côté, le nombre et, de l'autre, la classe et la relation logiques, cette réduction n'est pas à sens unique. Certes le nombre peut être conçu comme produit d'une fusion des opérations de classification et de sériation logiques (des premières, le nombre emprunte le rôle qu'y joue la similitude ou l'équivalence réunissant sans distinction les éléments-unités dénombrés, et des secondes, l'ordre sériel établi entre ces éléments, ordre qui seul permet de les distinguer les uns des autres). Mais ces mêmes opérations de classification et de sériation peuvent tout aussi bien être conçues comme résultant d'une "dissociation" des activités d'emboîtement et de sériation intervenant dans la construction de la suite des nombres et dans l'usage du dénombrement et des opérations arithmétiques. Les groupements logiques sont certes formellement plus pauvres que le groupe des entiers numériques, ce qui tend à suggérer une antériorité (trompeuse) du logique sur l'arithmétique. Aussi la solution tracée par Piaget dans ces pages devrait-elle être nuancée de manière à inclure un résultat psychogénétique dont l'évidence s'imposera de plus en plus par la suite: la maîtrise, par l'enfant, de la quantification logique accompagnant la construction de l'inclusion logique est ou peut être plus tardive que la maîtrise de la quantification arithmétique. Ainsi un enfant de 6-7 ans peut-il porter un jugement de conservation du nombre, indice d'une déjà pleine maîtrise opératoire des premiers nombres entiers et des opérations qui les rattachent les uns aux autres, alors même que, pour lui, la question de savoir s'il y a plus d'éléments dans un sous-ensemble logique que dans l'ensemble logique dans laquelle celui-là est (visiblement ou non) inclus n'a pas ou peut ne pas avoir de sens. (Pour se faire une idée de la complexité que cette question de quantité logique peut poser aux jeunes enfants, on peut se référer au cas de la jeune Anouk, qui avait été interrogée dans le cadre des recherches longitudinales entreprises par Bärbel Inhelder et ses collaborateurs sur le développement de la pensée de l'enfant et de l'adolescent: Anouchka et l’inclusion des fleurs).

Si elle est avérée, cette antériorité de la quantification numérique élémentaire par rapport à la quantification logique implique que l'activité de réunion et d'emboîtement logiques propre à toute classification est plus simple à réaliser lorsque les propriétés distinctives qui permettent d'identifier ou de particulariser les éléments des classes emboîtées les unes dans les autres ne sont pas abstraites de la réalité empirique (comme c'est le cas pour être une tulipe, être une fleur, etc.), mais sont introduites par l'enfant de 6-7 ans qui ordonne les éléments en les dénombrant. Mais quoi qu'il en soit des nuances qu'il convient à apporter à certaines affirmations dans lesquelles Piaget semble accorder — pour des raisons qui tiennent plus de la modélisation logistique que de l'analyse psychogénétique — une sorte de primauté aux opérations logiques de classification et de sériation par rapport aux opérations arithmétiques issues de leur fusion, la thèse d'une intervention concomitante des activités (certes non nécessairement explicitée) de classification et de sériation dans la constitution du nombre opératoire reste valide, comme reste valide l'affirmation selon laquelle le nombre une fois construit contient bien des opérations qui, dans le cadre de l'activité de dénombrement, relèvent tout à la fois de l'inclusion et de la sériation, et donc de la logique des classes et de la logique des relations. Dans la suite de ce chapitre sur la pensée arithmétique, Piaget va d'ailleurs conforter cette thèse en examinant la genèse de l'axiomatisation du nombre réalisée par le mathématicien Peano à la fin du 19ème siècle.

Dans cet examen de nature épistémologique, Piaget montre comment l'absence explicite d'un recours à l'une ou l'autre des deux dimensions cardinale ou ordinale du nombre entraine la présence implicite de cette même dimension au sein des notions indéfinissable posées dans le système axiomatique proposé par le mathématicien. Au-delà de différences évidentes entre le travail d'axiomatisation réalisé par le mathématicien et les activités par lesquelles la pensée "naturelle" est amenée à construire les opérations logiques et arithmétiques (le premier tendant à exclure de le système axiomatique visé tout ce qui relève de l'activité du sujet, alors que la seconde s'emploie à opérer et à raisonner sans viser la construction d'un tel système), Piaget montre la parenté qui existe malgré tout entre la construction axiomatique et la construction psychogénétique.

D'autres thèmes sont également traité dans ce chapitre, tel que celui de la genèse historique des nombres négatifs, fractionnaires, irrationnels, mais aussi des nombres complexes et des quaternions, ainsi que du transfini (dont certaines propriétés opératoires affaiblissent «leur caractère spécifiquement numérique» et marquent «un retour partiel aux composantes logiques du nombre» (p. 129) en raison de la dissociation qui y est faite entre les ordinaux transfinis et les cardinaux transfinis. Pour chacune de ces catégories de nombres, Piaget montre le rôle fondamental joué, dans leur construction, par l'abstraction à partir des actions et de leurs coordinations, en prenant ainsi le contrepied des conceptions qui accordent un tel rôle à l'abstraction à partir de l'objet. Il montre également comment les difficultés rencontrées dans la construction des nombres négatifs, irrationnels et complexes sont liées au mécanisme de la prise de conscience, qui porte d'abord sur les résultats des actions ou des opérations, avant de porter sur ces dernières. La genèse historique de chacune de ces nouvelles catégories de nombres qui se surajoutent aux "entiers naturels" permet de faire ressortir à chaque fois le rôle prédominant de la pression organisatrice des opérations et des notions numériques préalablement acquises dans la construction, par la pensée mathématique, des nombres négatifs (et du zéro), des irrationnels, des nombres complexes, etc.

Reste alors, trois problèmes épistémologiques majeurs, dont, tout d'abord, celui de la capacité de ces nombres élaborés par abstraction à partir des coordinations d'opérations précédemment acquises à s'appliquer avec succès à la réalité physique au point que les structures qu'ils composent apparaissent comme préadaptées à cette réalité. Puisque les nombres entiers, puis rationnels, puis irrationnels, etc., ne sont pas issus par abstraction à partir des objets et de leur propriété, mais à partir des coordinations des actions puis des opérations logico-mathématiques antérieurement acquises du sujet, la solution que propose Piaget est celle de rechercher dans l'organisation biologique, point de départ des actions du sujet, et elle-même issue de la réalité physique, la raison de cette accord des nombres avec cette réalité. Mais en recourant à un mécanisme d'abstraction portant non pas sur la réalité extérieure mais in fine sur des coordinations d'actions reposant elles-mêmes sur l'organisation vitale, une telle solution ne revient-elle pas, comme la solution empiriste, à rejeter le caractère à la fois fécond et nécessaire des structures numériques? Pour rendre compte de la nécessité, Piaget évoque alors le processus d'équilibration permettant à chaque étape de construction des nombres entiers, puis irrationnels, etc., d'aboutir à des lois de composition réversible et associative des structures garantissant leur nécessité rationnelle. Quant à la fécondité, elle tient au fait que les nouvelles structures ne sont jamais mécaniquement déterminées par les précédentes, le sujet étant appelé, certes en partant de celles-ci d'en créer de nouvelles les dépassant en puissance, en étendue et en stabilité, et ceci par le moyen d'une abstraction et d'une généralisation qui sont à la fois «constructives et réflexives» (p. 141; comme l'équilibration des structures cognitives, ces deux processus d'abstraction et de généralisation portant sur les coordinations les plus générales de l'activité du sujet et non pas, comme dans les épistémologies empiristes, sur les propriétés des objets, feront l'objet d'études spécifiques et d'un examen détaillé lors de la dernière décennie de recherches dirigées par Piaget dans le cadre du CIEG).

En conclusion, ce chapitre permet au lecteur de prendre la pleine mesure de l'approche piagétienne du nombre, et du rôle essentiel qu'elle fait jouer aux actions et opérations du sujet, à leurs coordinations, ainsi qu'aux processus de construction et notamment à cette abstraction réfléchissante (ou "réflexive") et constructrice sur laquelle Piaget reviendra dans la dernière décennie de ses recherches épistémologiques.

1950.
Introduction à l'épistémologie génétique (I).
La pensée mathématique: Chapitre II: La construction de l'espace
Texte PDF mis à disposition le 07.01.2011
 - Présentation
[Texte de présentation — version du 30 décembre 2010.]

Piaget commence par procéder à un bref examen historique des différentes conceptions de la notion d’espace et du statut épistémologique de la géométrie. Six grandes tendances explicatives se dégagent de cet examen: trois solutions de type agénétique et trois solutions génétiques, chacune des trois solutions agénétiques ou génétiques se distinguant les unes des autres selon que le primat est attribué au sujet ou à l’objet ou selon que la perception ou la connaissance spatiale repose sur l’interaction sujet-objet. Ce tableau des six solutions se complexifie par ailleurs, étant donné que le problème de l’origine épistémologique de l’espace peut se poser soit sur le terrain de la phylogenèse de l’espèce humaine, soit sur celui de la psychogenèse (ce qui signifie par exemple que l’innéisme psychogénétique de résout en rien le problème épistémologique, une telle prise position théorique ne faisant que repousser ce dernier sur le terrain phylogénétique…)

Après avoir présenté les six solutions possibles, Piaget procède à l’examen systématique de chacune d’entre elles en les confrontant avec les données de la psychologie génétique. Il le fait d’abord sur le plan de l’espace de la perception, puis de l’espace sensori-moteur, enfin sur le plan de l’espace représentatif, en montrant pour chacun de ces niveaux le rôle crucial que jouent les activités perceptives de centration et de décentration perceptives, les actions sensori-motrices (de placement et de déplacement), et la construction des opérations spatiales. Pour chacun de ces niveaux de conduites, il prend appui sur des théories bien connues (par exemple, le sensualisme et la Gestalt en ce qui concerne l’espace perceptif), tout en montrant leurs lacunes afin de leur substituer une conception apte à intégrer l’ensemble des faits psychogénétiques connus. A titre d’exemple, signalons parmi les doctrines discutées lors de cet examen celle, à la fois aprioriste et conventionnaliste, d’Henri Poincaré, sur laquelle Piaget s’appuie en raison du rôle qu’elle attribue à la notion de groupe dans la constitution de l’espace sensori-moteur, mais dont il montre de manière très détaillée les limites à la lumière des faits découverts en psychologique génétique.

Notons que les faits recueillis par la psychologie génétique sur la construction des opérations spatiales intensives puis extensives (ou métriques) sont longuement résumés dans deux grandes sections de ce chapitre sur «La construction opératoire de l’espace» — chapitre dont les dernières sections traitent des épistémologies de Gonseth et de Brunschvicg sur l’espace et la géométrie, mais aussi des conclusions générales auxquelles conduisent la mise en parallèle des résultats des enquêtes psychogénétiques sur la construction de l’espace et des données recueillies en histoire de la géométrie.

1950.
Introduction à l'épistémologie génétique (I).
La pensée mathématique: Chapitre III: La connaissance mathématique et la réalité
Texte PDF mis à disposition le 23.01.2011

1950.
Introduction à l'épistémologie génétique (II).
Deuxième partie: La pensée physique [introduction]
Texte PDF mis à disposition le 25.02.2011

1950.
Introduction à l'épistémologie génétique (II).
La pensée physique: Chapitre IV: Nature des notions cinématiques et mécaniques: le temps, la vitesse et la force
Texte PDF mis à disposition le 25.02.2011
 - Présentation
[Texte de présentation — version du 25 février 2011.]

[I]

Piaget examine dans les cinq premières des dix sections de ce chapitre la genèse et la signification épistémologique de l’organisation sensori-motrice de l’objet, de l’espace et du temps, ainsi que celles, ultérieures, des notions de vitesse, de temps et d’espace, de mouvement et de force.

Les grandes révolutions conceptuelles qu’ont traversées les mathématiques et la physique, au 19e siècle et au début du 20e ont révélé le lien étroit entre ces notions. Mais quelle est exactement la nature de ces liens d’une part? et comment se fait-il, d’autre part, qu’il existe, aux côtés de la géométrie physique intimement liée aux progrès de la physique moderne (découverte de la relativité du temps et de l'espace, par Einstein), une science purement mathématique de l’espace, la géométrie (à la base édifiée, comme la logique et l’arithmétique, à partir des structures propres aux coordinations générales des actions du sujet sur l’objet, et donc abstraction faite des caractéristiques physiques de ces dernières), alors qu’il n’y a rien de tel en ce qui concerne le temps, cette notion relevant des seules sciences de la nature, et en tout premier lieu de la physique)?

Face à ces questions épistémologiques, et après avoir présenté les différentes solutions classiquement proposées au problème de l’origine de la notion de temps, Piaget retrace, en prenant appui sur les résultats de ses recherches, la façon dont, chez l’enfant, le logico-mathématique (pôle sujet) et le physique (pôle objet de la connaissance, y compris l’action propre dans ses particularités psychologiques et physiques) co-interviennent dans la construction des notions d’espace, de vitesse et de temps, le niveau opératoire n’étant atteint qu’au terme d’un processus de différenciation entre (1) les connaissances construites à partir des coordinations générales de l’action propres à l’activité logico-mathématique du sujet et (2) ce qui provient de l’objet (expérience psychologique et physique des objets en mouvement) mais aussi de l’expérience intérieure (sentiment d’effort, de continuation de l’action, etc.). L’examen comparatif des genèses des notions de temps et d’espace chez l’enfant permet dès lors d’apporter une réponse à la question de la différence remarquable existant entre l’espace et le temps, c’est-à-dire au fait que seul le premier conduit à une géométrie logico-mathématique dont les fondements sont logiquement indépendants de la géométrie physique, le temps conservant au contraire à toutes les étapes du développement puis de l’histoire des sciences un lien d’interdépendance avec les notions de vitesse, de mouvement, de force relevant du pôle objet de la connaissance (ce qui explique l’absence d’une « chronométrie pure » comparable à la géométrie mathématique).

Il est à noter qu’en plus d’apporter des réponses plausibles à la question de la différence épistémologique observée entre les notions de temps et d’espace, la première partie de ce chapitre fournit un certain nombre de résumés très clairs des résultats des recherches de psychologie génétique concernant les notions de temps, de vitesse, de mouvement et de force qui, toutes ensembles, composent le champ de la cinématique et de la mécanique physiques (à noter toutefois qu'en ce qui concerne la notion de force, il faudra attendre les recherches conduites au CIEG dans les années 1960 pour avoir une vue adéquate du lien entre le développement de cette notion et le développement des opérations logico-mathématiques; en 1950, les seules recherches consacrées par Piaget à cette notion se réduisaient à celles effectuées dans les années 1920 (JP27), c'est-à-dire à une période lors de laquelle Piaget n'avait pas encore découvert l'existence des structures opératoires de l'intelligence logico-mathématique).

[II]

Alors que les premières sections de ce chapitre portaient sur les conséquences épistémologiques pouvant être tirées de l’étude psychogénétique de la pensée physique de l’enfant, les cinq dernières sont pour l’essentiel consacrée à l’examen épistémologique du développement historique des cosmologies et de la pensée physique, depuis les sociétés humaines les plus anciennes, jusqu’à la physique contemporaine (théorie de la relativité incluse, dont Piaget livre un résumé d’une exceptionnelle clarté). Cet examen révèle l’existence des mêmes mécanismes de décentration et de désubjectivation (et inversément d’objectivation) croissantes que ceux découverts chez l’enfant. Dans le deuxième cas comme dans le premier sont constatées des étapes successives de décentration et d’objectivation rendues possibles grâce à la construction de systèmes de mises en relation et d’opérations logico-mathématiques de plus en plus puissants et étendus, permettant de déduire un réel se dissociant des apparences, à partir des phénomènes qui n’en sont plus que des indices. Cet examen épistémologique de l’essor historique de la pensée et de la science physique porte en particulier sur la façon dont les idées d’espace, de temps, de mouvement, de force et de puissance (ou de «travaux virtuels» se sont ainsi «désanthropomorphisées», «relativisées» en perdant toute attache avec le sociocentrisme intellectuel propre aux petites sociétés «primitives» encore peu différenciées.

Enfin, dans la dernière section de ce chapitre, Piaget revient sur la question de l’accord énigmatique des mathématiques avec la réalité physique, question en partie éclaircie à la lumière des faits exposés dans les sections précédentes.

La lecture des sections portant sur le développement historique des cosmologies et de la pensée physique révèle qu’en 1950, la conception que Piaget se faisait de la «pensée primitive» restait encore très dépendante des faits et concepts exposés dans les travaux ethnologiques du sociologue et philosophe Lucien Lévy-Bruhl. C’est seulement à partir des années 1960 que Piaget sera amené à compléter cette conception en prenant connaissance des résultats des premières recherches de psychologie génétique comparative effectuées chez les aborigènes australiens ou africains encore peu touchés par les contacts avec la civilisation moderne (JP66c).

On notera également que l’examen auquel procède Piaget en 1950 de l’évolution des notions de force et de travaux virtuels en histoire des sciences sera ultérieurement repris et révisé à l’occasion des nombreux travaux réalisés au CIEG dans les années 1960 sur le développement de la causalité physique chez l’enfant (travaux dont les résultats seront synthétisés et publiés dans EEG25, EEG26, EEG27, EEG28, EEG29, EEG30).

1950.
Introduction à l'épistémologie génétique (II).
La pensée physique: Chapitre V: Conservation et atomisme
Texte PDF mis à disposition le 13.03.2011
 - Présentation
[Texte de présentation — version du 11 mars 2011.]

Pour Piaget, l’examen de la genèse des principes de conservation physique (substance, poids, volume) et des explications atomistiques chez l’enfant apparaît comme un moyen privilégié non seulement d’éclairer la signification des principes de conservation qui sont au coeur de la physique moderne (conservations du mouvement, de la force et de l’énergie), mais également de cerner la façon dont la raison et l’expérience physique interagissent dans la construction de la pensée physique, ainsi que d’apporter des réponses empiriquement fondées au problème de l’accord des mathématiques avec la réalité physique, ou encore au problème des rapports entre les sciences logico-mathématiques et physiques. La première conclusion que Piaget tire de ses observations sur la construction des conservations physiques chez l’enfant (l’atomisme étant l’explication corrélative que l’enfant de niveau opératoire peut donner de ces conservations) est que cette construction est un mélange initialement indissociable entre l’apport du sujet (les coordinations logico-mathématiques de ses actions sur la réalité physique) et celui des expériences livrées par ces mêmes actions (modifier la forme d’un objet, le soupeser, etc.). La seconde conclusion prend le contre-pied de l’épistémologie d’Emile Meyerson en montrant que les notions de conservation ne se réduisent pas à la notion d’identité, mais que chacune n'a de sens qu’en rapport avec un système opératoire qu’elle conditionne et qui la conditionne, et dont l’opération identique n’est qu’une composante.

Enfin si la connaissance psychogénétique du développement des notions de conservation permet à Piaget de proposer une solution épistémologique originale et éclairante à ces questions classiques de philosophie des sciences (ceci dans le prolongement des travaux de Bachelard et d’Alexandre Koyré), en sens inverse, l’analyse psychologique et épistémologique à laquelle il procède, dans ce chapitre, des conduites et jugements observés chez les enfants permet de mieux comprendre la pensée de ces derniers.

1950.
Introduction à l'épistémologie génétique (II).
La pensée physique: Chapitre VI: Le hasard, l'irréversibilité et l'induction
Texte PDF mis à disposition le 22.04.2011
 - Présentation
Ce chapitre porte sur différentes notions et phénomènes physiques qui paraissent de prime abord contredire la raison opératoire. Piaget montre tout d’abord comment, chez l’enfant (JP51) comme dans l’histoire, l’intuition ou la notion du hasard n’apparaît qu’à la suite de la construction des opérations logico-mathématiques élémentaires (classes, séries, nombres, partition, etc.). La même notion n’est d’ailleurs opératoirement maîtrisée qu’une fois construites les opérations propres à la pensée propositionnelle et combinatoire (donc à une forme de pensée plus abstraite que la précédente, puisque composée d’opérations au second degré, portant sur les opérations concrètes acquises (par exemple combinaison de toutes les sériations possibles d’une série d’objet, donc de sériations et classifications de sériations concrètes). Il en d’ailleurs de même de la maîtrise en apparence paradoxale de l’irréversibilité physique (« on se baigne jamais deux fois dans la même eau »), qui est elle aussi liée à l’apparition d’une pensée devenue opératoire, donc réversible, qui seule permet la saisie puis la maîtrise de cette irréversibilité!

On trouvera également dans ce chapitre une analyse épistémologique très éclairante de la notion d’histoire (histoire de la formation des Alpes par exemple), ou encore de la genèse de l’induction expérimentale et des raisonnements inductifs, ces dimensions de la pensée physique découlant elle aussi de la rencontre de séries causales indépendantes (selon l’explication que A.A. Cournot donnait de la notion de hasard).

Enfin, les dernières pages portent sur les limitations du déterminisme absolu, c’est-à-dire sur le nécessaire recours au déterminisme statistique dans la physique moderne (en particulier avec la thermodynamique et abstraction faite de la physique quantique qui sera l’objet du chapitre 7). Ce recours inévitable de la physique moderne au déterminisme statistique trouve-t-il ses raisons dans les seules limitations de la connaissance humaine, ou au contraire dans une réalité physique qui serait elle-même, in fine, de nature probabiliste? Pour Piaget, une seule chose est certaine, si l’on prend en considération l’essor des différentes parties de la physique classique (et donc sans encore envisager les réponses apportées par la microphysique quantique): que l’usage du principe de déterminisme absolu ou au contraire du déterminisme statistique dépend du niveau d’observation des phénomènes étudiés (ce qui à un certain niveau présente une trop grande complexité pour être saisi par le déterminisme « absolu » et ses instruments de déduction peut être à un autre niveau saisi par le déterminisme statistique et ses instruments de calcul, eux aussi tout à fait rationnel). Mais encore une fois, les conclusions que l’on peut tirer en se plaçant sur l’un ou l’autre de ces deux niveaux ne disent rien du caractère fondamentalement déterministe (au sens absolu) ou non de la réalité physique ultime.

1950.
Introduction à l'épistémologie génétique (II).
La pensée physique: Chapitre VII: Les enseignements épistémologiques de la microphysique
Texte PDF mis à disposition le 06.05.2011

1950.
Introduction à l'épistémologie génétique (II).
La pensée physique: Chapitre VIII: Les problèmes de la causalité physique
Texte PDF mis à disposition le 20.05.2011
 - Présentation
[Texte de présentation — version du 4 mai 2011.]

Ce chapitre de conclusion de l’examen de la pensée physique porte sur deux problèmes très généraux: celui de la nature de l’explication physique, en d’autres termes de la causalité physique, et celui de la réalité atteinte par la connaissance physique. Pour Piaget, cette réalité est celle qui peut être connue par la voie des actions particulières (par ex. soupeser un objet, le regarder pour connaître sa couleur, agir sur lui en le pressant avec plus ou moins de force pour connaître sa consistance ou telle autre de ses propriétés physiques, lui imprimer une vitesse, etc.) que le sujet exerce sur l’objet, alors que la réalité sur laquelle porte la pensée mathématique est, en son point de départ, composée des coordinations de portée générale de ces actions particulières, abstraction faite de leur particularité physique (par exemple réunir ou ordonner des actions permettant d’atteindre un but particulier (ces coordinations faisant bien entendu elles aussi partie du réel, mais partie atteinte par la voie intérieure de l’abstraction réfléchissante, et non pas par la voie extérieure de l’expérience et de l’abstraction physiques).

Quant à la causalité, après avoir considéré la façon dont la physique et les philosophies de la physique l’ont conçues à différentes étapes de l’histoire de cette science, ainsi que les conceptions que s’en font les enfants aux différentes étapes de la psychogenèse de l’intelligence, Piaget expose sa propre conception telle qu’elle ressort de ce double examen historico-critique et psychogénétique. Si à la racine la causalité est anthropocentrique en ce sens que la pensée adulte, lors de sa sociogenèse, et l’enfant, lors de sa psychogenèse, commencent par concevoir les rapports de cause à effet entre objets en l’assimilant aux explications biologiques ou psychologiques spontanées (animisme, vitalisme, artificialisme, etc.), par la suite et par décentration progressive la pensée physique ne fait plus qu’attribuer à la réalité physique des structures d’actions et de transformations causales similaires aux opérations et structures opératoires construites, au départ, par abstraction réfléchissante à partir des coordinations générales des actions du sujet, la réalité physique ne se différenciant pas moins de la réalité mathématique de par le fait qu’elle ne continue à être atteignable que par le biais d’une coordination d’actions particulières (y compris en mécanique quantique) au moyen desquelles le sujet (1) agit physiquement sur elle (au départ directement, puis indirectement, c’est-à-dire au moyen d’instruments de plus en plus sophistiqués) et (2) découvre des propriétés et des lois physiques assimilées et expliquées au moyen de modèles mathématiques de plus en plus abstraits.

Ce chapitre offre ainsi l’intérêt, non seulement de dégager les caractères particuliers de la connaissance physique, mais aussi de mettre en évidence de manière particulièrement lumineuse les différences qui séparent cette connaissance physique de la connaissance mathématique, et plus précisément les formes différentes d’abstraction et de généralisation qui interviennent dans la construction des structures (ou idéalités) mathématiques d’un côté, de la réalité physique de l’autre.

1950.
Introduction à l'épistémologie génétique (III).
Troisième partie: La pensée biologique. Chap. IX: La structure de la connaissances biologique
Texte PDF mis à disposition le 07.03.2012
 - Présentation
[Texte de présentation — version du 9 mars 2012.]

La troisième partie de l'Introduction à l'épistémologie a pour objet la pensée biologique. Elle est composée de deux chapitres. Le premier (= chapitre IX de l'Introduction à l'épistémologie génétique) porte sur «La structure de la connaissance biologique», ou encore sur «le mode de connaissance propre à la biologie» (comparativement aux sciences mathématiques et physiques). Le second a pour objet «La signification épistémologique des théories de l'adaptation et de l'évolution» (thème dans lequel on reconnaît le prolongement d'une analyse qui a débuté dans les années 1920, dans le cadre des recherches sur l'adaptation des limnées).

Cette troisième partie, par laquelle débute le dernier des trois volumes de l'Introduction à l'épistémologie, est suivie d'une quatrième partie qui, elle, porte sur «la pensée psychologique, la pensée sociologique et la logique».

*********

Précédé d’une brève introduction de deux pages dans laquelle est brièvement présentée la place de la biologie dans le système (circulaire) des sciences, ce neuvième chapitre de l’Introduction à l’épistémologie génétique a pour objet l’examen épistémologique des grandes étapes de la connaissance biologique telle qu’elle s’est déployée dans les domaines de la systématique (la taxonomie), de l’anatomie comparée, de l’embryologie descriptive puis causale, et de la physiologie.

Complété par les réflexions sur les propres activités, observations et thèses que Piaget a pu réaliser et développer dans le cadre de ses travaux de biologie sur la classification des mollusques et sur l’adaptation des limnées, le triple examen de la pensée biologique à l’oeuvre dans les domaines de la systématique, de l’anatomie comparée et de l’embryologie descriptive révèle que les structures qui la sous-tendent sont les mêmes que celles dégagées dans l’examen de la pensée logique de l’enfant. Les activités du biologiste en ces trois domaines sont pour l’essentiel des activités de classification et de sériation, que ce soit sous une forme additive ou une forme multiplicative, ainsi que de mises en correspondance (notamment en anatomie comparée). Toujours en ces trois domaines, la pensée biologique est donc une pensée foncièrement qualitative, les opérations métriques et les déductions mathématiques ne jouant qu’un rôle de second plan dans la structuration des connaissances qui leur sont propres.

Il découle de cette limitation de la pensée biologique (telle qu’elle se présentait encore au milieu du 20e siècle) l’impossibilité de reconstruire déductivement l’évolution des formes biologiques. Pour Piaget, une telle limitation des capacités déductives de la biologie (comparativement aux transformations physiques que la science physique parvient à déduire) tient largement à la nature même de l’évolution biologique dans laquelle le hasard intervient à tous les niveaux. Pour Piaget, il est cependant possible que les progrès de la génétique, en donnant prise à la pensée combinatoire, permette à la biologie de l’évolution de dépasser les limitations propres à la forme de pensée qualitative. De même, l’examen de la physiologie révèle que la biologie peut elle aussi faire usage de démarches cognitives qui ne se limitent pas, pour l’essentiel, aux démarches propres aux groupements logiques tels que Piaget les a formalisés dans son Traité de logique (publié en 1949). En ce domaine en effet, comme en physique, le biologiste parvient à dégager des lois, et même à les déduire à partir de la connaissance qu’il a des mécanismes physico-chimique en jeu.

Notons encore que les dernières sections de ce chapitre ont pour objet, l’une, l’examen de la finalité en biologie, l’autre l’articulation entre explication physique et explication biologique. En ce qui concerne la notion de finalité, Piaget en critique l’usage, dans la mesure où, pour lui, cette notion ne peut être évoquée pour expliquer le déroulement des phénomènes physico-chimiques (auxquels la biologie tend toujours davantage à réduire son objet). La finalité (qui doit être complètement dissociée de la notion de cause) n’a de sens, à ses yeux, que sur le plan des implications propres à la conscience, plan qui intervient parallèlement à celui de l’enchaînement des causes étudié par la biologie (psychologie du comportement comprise, dans la mesure où sont mis entre parenthèses le flux de la conscience et ses états).

En définitive, ce chapitre est une illustration de la connaissance approfondie que Piaget avait, lorsqu’il l’écrivait, des sciences biologiques et de leur histoire, qu’il aborde à la manière dont il le fait pour le développement des connaissances chez l’enfant et l’adolescent. Cependant, il faut souligner qu’alors même que Piaget écrivait ce chapitre, la biologie, et en particulier la biologie de l’évolution, allait connaître un tournant majeur avec la découverte du code génétique et la mise en place d’un cadre notionnel tout à fait novateur seul à même d’exprimer le rôle que joue ce code (c’est-à-dire le système des gènes) sur le double plan de l’embryologie et de l’évolution des espèces — découverte que Piaget pressentait certainement, mais dont il ne pouvait anticiper la spectaculaire progression.

1950.
Introduction à l'épistémologie génétique (III).
Troisième partie: La pensée biologique. Chap. X: La signification épistémologique des théories de l'adaptation et de l'évolution
Texte PDF mis à disposition le 31.03.2012
 - Présentation
[Texte de présentation — version du 14 mars 2012.]

La troisième partie de l'Introduction à l'épistémologie a pour objet la pensée biologique. Elle est composée de deux chapitres. Le premier (= chapitre IX de l'Introduction à l'épistémologie génétique) porte sur «La structure de la connaissance biologique», ou encore sur «le mode de connaissance propre à la biologie» (comparativement aux sciences mathématiques et physiques). Le second a pour objet «La signification épistémologique des théories de l'adaptation et de l'évolution» (thème dans lequel on reconnaît le prolongement d'une analyse qui a débuté dans les années 1920, dans le cadre des recherches sur l'adaptation des limnées).

Cette troisième partie, par laquelle débute le dernier des trois volumes de l'Introduction à l'épistémologie, est suivie d'une quatrième partie qui, elle, porte sur «la pensée psychologique, la pensée sociologique et la logique».

Rappelons qu’hormis les chapitres en préparation sur la pensée psychologique et sur la pensée sociologique, tous les autres chapitres composant les trois volumes de l’Introduction à l'épistémologie génétique sont disponibles sur la page Textes/Chapitres du site de la Fondation Jean Piaget..

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Dans ce deuxième chapitre consacré à l’épistémologie de la biologie, Piaget reprend et développe son analyse du parallélisme des six grands types de solutions biologiques, psychologiques et épistémologiques historiquement, tendanciellement soutenues face au double problème (1) de l’adaptation et de l’origine des formes biologiques ainsi que (2) des formes et catégories intellectuelles et cognitives —parallélisme qu’il avait pu entrevoir dès les années 1920 à l’occasion de ses recherches sur l’adaptation des Limnées au milieu agité des grands lacs (voir JP29_4) et de sa première décennie de recherches en psychologie génétique de l’intelligence. Ces six grands types de solution sont le créationnisme, le préformisme (ou l’apriorisme) et l’interactionnisme émergentiste, ainsi que le lamarckisme ou l’empirisme, le mutationnisme ou le conventionnalisme, et enfin l’interactionnisme constructiviste. La classification exposée par Piaget se base sur le produit logique de deux critères très généraux: (i) le rôle explicatif primordial attribué soit à l’organisme (ou au sujet) soit au milieu soit à leur interaction, et (ii) la prise en considération ou non d’une dimension génétique et progressive dans les adaptations des organismes, de l’intelligence ou des connaissances relativement à leur milieu (ou leur objet). (Notons en passant que l’analyse à laquelle Piaget procède est forcément quelque peu schématique, dans le traitement qu’elle fait subir aux théories, par exemple celle de Lamarck ou celle de Kant, illustrant chacune des six positions possibles.)

Piaget termine cette analyse du parallélisme entre les réponses apportées au problème des rapports entre l’évolution biologique et l’évolution des connaissances en évoquant les conceptions voisines de Lalande et de Bergson. Ces deux conceptions contredisent ce parallélisme dans la mesure où elles soutiennent la thèse selon laquelle ces deux évolutions marchent dans des directions contraires. Pour Lalande, la progression de la vie intellectuelle se fait en direction non pas de la différenciation qui caractériserait l’évolution biologique, mais dans le sens d’une homogénéisation croissante (due à la pression de la raison conçue comme recherche de l’identique). Et pour Bergson, l’intelligence et la raison (mais non pas l’intuition et l’instinct), loin d’être comme la vie créatrice de formes, ne font que se calquer sur le monde de la matière, de l’inerte. Néanmoins, Piaget a beau jeu de montrer que, à l’opposé de ces deux thèses, le développement cognitif et la marche des sciences sont eux aussi, sinon créatrices, du moins constructions de formes nouvelles, de plus en plus riches, révélant un processus autant de différenciation que d’intégration. Ce qui l’amène à conclure que si, comme il croit l’avoir montré, «les problèmes biologiques et épistémologiques sont réellement solidaires, c’est que la connaissance prolonge effectivement la vie elle-même» (p. 127).

On notera enfin que la connaissance étendue que Piaget manifeste dans ce chapitre des théories évolutionnistes en biologie, mais aussi les faits qu’il a lui-même recueillis en ce qui concerne l’adaptation des limnées à leur milieu, le conduisent à insister à nouveau sur le caractère trop lacunaire des explications apportées par la biologie néo-darwinienne de la première moitié du 20e siècle au problème de l’origine des formes biologiques (caractère qui correspond aux insuffisances des explications conventionnalistes de la genèse des principes de conservation en physique, ou de l’accord de certaines structures mathématiques avec la réalité physique). La décennie qui suivra la publication de l’Introduction à l’épistémologie génétique lui donnera en partie raison, dans la mesure où la biologie de l’évolution donnera de plus en plus place à une explication des transformations des formes biologiques qui ne se limite plus à la seule évocation des mutations aléatoires suivie de sélection après coup, mais en appellera à des mécanismes de régulation interne au génome et susceptibles d’orienter les modifications du matériel héréditaire, avant même d’accorder de plus en plus d’attention à des formes d’hérédité épigénétique et cytoplasmique que Piaget mettait déjà en exergue en 1950. Il faudra attendre toutefois les années 1960 pour que Piaget tente lui aussi de dépasser les insuffisances des théories biologiques (la sienne comprise) résumées et analysées dans ce chapitre face au problème de la transformation adaptative des espèces.

1950.
Introduction à l'épistémologie génétique (III).
Quatrième partie: La pensée psychologique…: Chap. XI: L'explication en psychologie
Texte PDF mis à disposition le 06.04.2012
 - Présentation
[Texte de présentation — version du 21 mars 2012.]

La quatrième partie de l'Introduction à l'épistémologie a pour objet la pensée psychologique. Elle est composée de deux chapitres. Le premier (= chapitre XI de l'Introduction à l'épistémologie génétique) a pour objet «L’explication en psychologie», le second, «L’explication en sociologie» (chacun de ces deux chapitres se conclut par une section consacrée à la logique dans son rapport avec la psychologie et avec la sociologie). Cette quatrième partie est suivie d’un long chapitre de «Conclusions» dans lequel Piaget revient sur le caractère circulaire du système des sciences (des mathématiques à la physique, en passant par la biologie, la psychologie, la sociologie et la logique, sur laquelle se fonde les mathématiques).

Hormis le 12e chapitre en préparation sur la pensée sociologique qui sera disponible à la fin du mois d’avril, tous les autres chapitres, y compris la conclusion générale, composant les trois volumes de l’Introduction à l'épistémologie génétique le sont sur la page Textes/Chapitres du site de la Fondation Jean Piaget.

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Ce onzième chapitre examine en profondeur la double nature ou le double statut des explications psychologiques, qui d’un côté tendent à se réduire à la causalité physiologique (et donc physico-chimique), et de l’autre à évoquer les liens d’implications qui interviennent dans le déroulement des conduites psychologiques (dont la nature est elle-même double (matérielle par leur dimension physico-chimique, logico-mathématique par leur dimension implicative). Ce double aspect de l’explication psychologique rejoint en un certain sens le cercle entre sujet et objet ou entre pensée et réalité que l’on trouve sur le plan de l’explication physique (la causalité physique revenant à expliquer le déroulement des phénomènes physiques en les assimilant à des structures mathématiques, qui elles-mêmes sont des produits de l’évolution bio-psycho-sociologique). Par ailleurs, Piaget observe que plus l’intelligence des organismes est développée, plus l’aspect implicatif de l’explication psychologiques prend d’importance, par rapport à son aspect causal (causalité organique).

En d’autres termes, plus cohérents et complets sont les systèmes d’implications ou d’opérations logico-mathématiques imputés à un sujet et permettant de comprendre les raisons de sa conduite psychologique et moins éclairant est le recours aux explications physiologiques pour rendre compte de cette même conduite, puisqu’alors c’est ce même regroupement (ou encore le même modèle logico-mathématique que celui utilisé pour décrire ces systèmes) qui devrait expliquer les liens de causalité inhérents au fonctionnement organique corrélatifs des implications et opérations logico-mathématiques propres au sujet. En sens contraire, moins les systèmes d’implications ou de préopérations logico-mathématiques forment des systèmes cohérents et complets, et plus la part de l’explication organique importe pour rendre compte des conduites observées chez le sujet.

Par ailleurs, Piaget consacre toute une section de ce chapitre à la critique des explications psychologiques substantialistes, recourant à des notions telles que celles substance et de force psychiques supposées pouvoir expliquer les phénomènes psychologiques. Ces notions confondent ce qui, dans ces phénomènes, relèvent des activités physiques (et de la causalité physique) et ce qui relève des activités mentales (et des implications, au sens large, qui lient les états conscients les uns aux autres). Prenant le contre-pied du substantialisme, il analyse ensuite les explications génétiques (mélanges de causalité organique et d’implication) et opératoires (valables seulement au niveau supérieur de construction de l’intelligence opératoire) auxquelles l’ont conduit ses recherches psychologiques, en évoquant quelques exemples portant sur le développement des perceptions, de l’intelligence ou encore de la volonté, et en mettant en lumière le rôle déterminant qui joue l’équilibre (plus ou moins stable et mobile) des conduites.

Enfin, une dernière section a pour objet la présentation du «parallélisme psycho-physiologique», c’est-à-dire de deux postulats méthodologiques formulés par Flournoy et qu’il convient d’adopter si l’on se refuse à réduire la pensée et la nécessité mathématiques à la réalité physique et à ses lois (position de la «psycho-réflexologie », ou au contraire à expliquer la nature de l’intelligence humaine par le recours à des structures ou des lois logiques données dès le départ et qui rendrait compte de toutes les conduites intelligentes (position de la « psychologie de la pensée » ou de la «Denkpsychologie»). Plus généralement, ces deux postulats, qui consistent à admettre, le premier, l’existence d’un concomittant physiologique pour chaque phénomène psychologique (l’inverse n’est pas vrai), et le second, l’absence d’interactions ou de rapports de cause à effet entre la série des phénomènes psychiques et la série des phénomènes physiologiques, permettent de poursuivre les recherches psychologiques et physiologiques sans avoir à se prononcer sur le problème quasi-insoluble des rapports entre matière et esprit (ou conscience), qui a engendré des controverses sans fin entre spiritualisme et matérialisme, et pour lequel il n’existe aucune solution probante. (Notons cependant que parmi les réponses philosophiques mentionnées par Piaget, l’une, le monisme, c’est-à-dire «l’affirmation d’une identité du corps et de l’esprit sous leurs apparences différentes» est cependant la plus proche du parallélisme psycho-physiologique.)

Pour justifier le choix de ce double postulat méthodologique, Piaget examine deux exemples typiques qui semblent s’opposer à son application dans l’explication psychologique: celui d’une personne qui décide de lever son bras pour atteindre telle ou telle fin, et celui d’une personne dont l’état d’esprit passe de la tristesse à la gaité après avoir bu un verre d’alcool. Le premier semble justifier l’action de la conscience sur le corps, le second l’action d’un changement physiologique sur l’état de conscience. L’analyse très fine de ces deux exemples montre comment les faits en question peuvent être expliqués dans le cadre du parallélisme psycho-physiologique, l’explication des faits conscients portant sur les liens exclusivement implicatifs qui les relient les uns aux autres, et celle des faits physiologiques portant sur les liens de causalité physico-chimiques qui les concernent (certains faits physiologiques n’ayant pas de concomitants psychologiques, le parallélisme est donc partiel). Pour relier les deux séries de faits, Piaget évoque alors le seul rapport de traduction: la série des états de conscience traduit la série des faits physiologiques, cette traduction n’étant pas que reflet mais ajoutant «quelque chose au texte original tout en laissant échapper d’autres éléments».

1950.
Introduction à l'épistémologie génétique (III).
Quatrième partie: …La pensée sociologique: Chap. XII §1-6: L'explication en sociologie
Texte PDF mis à disposition le 06.04.2012
 - Présentation
[Texte de présentation — version du 26 avril 2012.]

Les cinq premières sections de ce chapitre ont principalement pour objet l’examen des explications sociologiques, réelles (portant sur les processus causaux) ou formelles (portant par exemple sur les normes juridiques considérées sur un plan purement implicatif, sans considérations des actions effectives composant la vie sociale) qui ont été données du fonctionnement des sociétés, en portant une attention particulière au rôle et au sens qu’y prennent les concepts de totalité et d’interactions sociales, de règle, de valeur et de signe, ou encore d’équilibre statique (ou synchronique) ou au contraire d’évolution historique (ou diachronique) des structures sociales. Après l’examen de la place occupées par ces concepts dans différentes théories sociologiques (y compris économiques, linguistiques et juridiques), Piaget montre comment les trois grands types de structures observés dans la genèse de l’intelligence chez l’individu (les rythmes, les régulations et enfin les groupements) se retrouvent dans le fonctionnement et la genèse des structures sociales. En ce qui concerne le dernier type de structures (les groupements), on n’en observe la manifestation, sur le plan social, que lors de la constructions de normes opératoires assurant la permanence des structures en jeu et la réversibilité des (co)opérations et des échanges qui les composent.

La sixième section a pour objet les différentes sociologies de la connaissance qui découlent ou que l’on peut associer aux grandes théories sociologiques qui ont marqué la fin du 19e siècle et le début du 20e, et tout particulièrement celles de Durkheim et de Marx, la première reliant trop directement la raison scientifique aux représentations sociales qui l’ont précédées (la pensée mythique en particulier), alors que, très voisine —sur ce plan— des thèses piagétiennes, la seconde recherche les racines de la pensée scientifique et de la connaissance rationnelle dans les échanges et coopérations techniques intervenant lors des activités par lesquelles individus et groupes sociaux assimilent le monde extérieur, s’y accommodent et le transforment en vue d’atteindre des objectifs pratiques. Pour Piaget enfin, de même que le développement d’une pensée rationnelle implique, chez l’individu, une décentration par rapport au caractère intellectuellement égocentré des représentations intuitives, de même le développement des sciences implique une décentration par rapport au sociocentrisme des représentations sociales primitives, aux idéologies et aux métaphysiques (un tel mécanisme de décentration expliquant les caractéristiques contraires, reconnues par Marx et ces disciplines —dont le sociologue et philosophe Lucien Goldmann, avec lequel Piaget a collaboré dans les années 1940—, de ces deux pôles de la conscience que sont les idéologies d’un côté et les sciences de l’autre).

Enfin, la septième section, qui sera placé sur le site de la Fondation Jean Piaget dans les jours qui viennent, a pour objet l’examen des rapports étroits qui existent en logique et société, s’il l’on admet que l’"accord des esprits" est un critère déterminant de la vérité expérimentale aussi bien que formelle. Hormis cette section sur laquelle s’achève le chapitre 12 consacré à « l’explication en sociologie », l’ensemble des chapitres et section composant les trois volumes de l’Introduction à l'épistémologie génétique sont disponibles sur la page Textes/Chapitres du site de la Fondation Jean Piaget.

1950.
Introduction à l'épistémologie génétique (III).
Quatrième partie: …La logique: Chap. XII §7: Logique et société
Texte PDF mis à disposition le 01.05.2012
 - Présentation
[Texte de présentation — version du 1er mai 2012.]

Cette dernière section du chapitre 12 de l’Introduction à l’épistémologie génétique a pour objet central l’examen des rapports entre logique et société. L’accord des esprits étant admis par Piaget comme le seul critère de vérité logique, la question se pose de savoir ce qui distingue un tel accord de la simple opinion ou croyance partagée par les membres d’une collectivité sociale. Pour l’auteur, la réponse réside dans la présence de structures opératoires de pensée (ou groupements d’opérations) qui sont aussi bien individuelles que sociales.

En d’autres termes si, pour Piaget, la vie sociale est une condition de la raison humaine, ce n’est pas, comme le concevait Durkheim, parce que la société impose de l’extérieur aux individus des contraintes normatives quelconques, mais parce que l’équilibre durable ou le bon fonctionnement des échanges sociaux impliquent la présence d’opérations intellectuelles communes à tous les individus composant et réalisant de tels échanges, opérations dont la genèse et les conditions d’acquisition sont tout à la fois individuelles et sociales.

Se référant à ses propres recherches sur la genèse de la pensée de l’enfant, Piaget rappelle en effet les liens que ces travaux ont pu mettre en évidence entre les capacités de collaboration observées chez les enfants et leur niveau de développement opératoire. De plus, après s’être penché sur la question de ce que l’on appelait alors, à la suite des travaux de Lévy-Bruhl, la pensée «primitive» et sur la nécessité qu’il y aurait, pour bien la percer, de tenir compte des actions individuelles et interindividuelles (et non pas seulement des représentations collectives), Piaget se livre à une analyse logistique serrée des actions et opérations d’échanges interindividuels qui confirme que les structures de ces échanges concrets aussi bien que formels (ou intellectuels) sont bien isomorphes à celles qui sous-tendent les activités opératoires observées chez l’individu (d’abord sur le plan de la pensée concrète, puis sur celui de la pensée formelle ou propositionnelle).

[Rappel: L’ensemble des chapitres et sections composant les trois volumes de l’Introduction à l'épistémologie génétique sont disponibles sur la page Textes/Chapitres du site de la Fondation Jean Piaget.]

1950.
Introduction à l'épistémologie génétique (III).
Conclusions [générales]
Texte PDF mis à disposition le 02.06.2011
 - Présentation
[Texte de présentation — version du 29 mai 2011.]

Dans ce chapitre de conclusions générales sur lequel s'achève sa monumentale Introduction à l'épistémologie génétique et qui synthétise l’ensemble des analyses précédemment exposées, Piaget développe deux thèses fondamentales de son épistémologie et dont il a eu très tôt l’intuition: 1. celle de l’existence d’un système circulaire des sciences basé sur des rapports d’interdépendance ou de correspondance (entre implication consciente et causalité) aux frontières des quatre grands types de science: logico-mathématique, physico-chimique, biologique et psycho-sociologique, 2. la thèse selon laquelle à partir d’un premier rapport indissociable entre le sujet et l’objet, ces deux pôles de la connaissance se différencient progressivement tout au long de la psychogenèse, mais également de l’histoire de la pensée humaine (passage de l’égocentrisme à la décentration), les rapports entre sujet et objet prenant des formes variées selon les connaissances en jeu (mathématiques, physiques, biologiques et enfin psychologiques et sociologiques).

Tel qu’il a été exposé dans les chapitres consacrés aux différents types de pensée (mathématique, physique, etc.), l’examen épistémologique du fonctionnement des sciences révèle la présence de deux directions opposées de la pensée scientifique, qui expliquent le caractère circulaire et non pas linéaire que compose le système des sciences (et que résume la constante opposition philosophique entre réalisme physique et idéalisme mathématique). En s’appuyant sur les principaux résultats découlant de ses nombreuses enquêtes psychogénétiques, Piaget montre alors que ce cercle des sciences découle des rapports indissociables qui unissent le sujet et l’objet au départ de la psychogenèse, puis de l’interdépendance constante que ces deux pôles entretiennent tout au long de leur construction progressive: d’un côté, construction du réel extérieur (y compris autrui) en tant que connu par le sujet et avec lequel celui-ci interagit (et s’y accommode), et de l’autre côté, prise de conscience et construction par étapes également progressives, par le sujet, des coordinations d’actions puis d’opérations qui composent son activité et qui sont elles-mêmes conditionnées par cette réalité cette fois-ci intérieure qu’est l’organisation biologique (donc physico-chimique) dans laquelle elles s’enracinent.

En plus de mettre en lumière le caractère circulaire du système que composent l’ensemble des sciences ainsi que le lien entre ce caractère et l’interdépendance entre sujet et objet que l’on retrouve, sous des formes différentes, dans toutes les sciences, mais aussi le lien de correspondance entre implication consciente et causalité (que l’on trouve entre les mathématiques et la physique, d’un côté, et entre l’un des deux versants de la psychologie et la biologie de l’autre), Piaget montre que ces deux thèses sont renforcées par l’examen de l’accroissement progressif des connaissances observé dans le développement psychogénétique de l’enfant et dans l’histoire des sciences. Cet examen révèle deux processus qui, bien que de sens contraire, interviennent sur tous les plans de la pensée: d’un côté, un processus constructif (orienté vers la construction de nouvelles connaissances ou structures, et de l’autre côté un processus réflexif, orienté vers les connaissances déjà acquises et leur fondement. Ces deux processus assurent le caractère à la fois novateur et conservateur de l’accroissement des connaissances, c’est-à-dire expliquent que la succession innovante des états de connaissance n’est pas une simple addition de connaissances nouvelles sans lien avec les précédentes, d’ailleurs incompatible avec le rôle que joue nécessairement l’assimilation dans le fonctionnement cognitif. Ces deux processus de construction et de réflexion sont toujours, bien qu’à des degrés divers, étroitement reliés l’un à l’autre, ce que révèlent, par exemple, (1) sur le terrain mathématique, la construction du zéro, issue d’une réflexion sur le système opératoire constitutif des nombres entiers positifs et négatifs, ou encore la construction de √-1, généralisation de l’opération de la racine des nombres entiers positifs imposant un remaniement des axiomes de l’arithmétique permettant d’intégrer ce nouveau nombre qu’est √-1 (et de renouveler par là-même, en la rendant plus mobile et plus riche de signification, l’ancienne opération et notion de racine carrée), (2) sur le terrain de la pensée physique, l’accroissement des connaissances lorsqu’il repose non seulement sur de nouveaux faits, mais sur une « généralisation mathématique de caractère opératoire » (illustrée dans le chapitre 8 par la progression des théories physiques, par exemple par le passage de la physique newtonienne à la physique einsteinnienne, ou par la progression des principes de conservation).

Enfin, Piaget revient dans l’une des dernières sections de ses conclusions générales sur le problème de l’existence ou non d’une vection dans l’accroissement des connaissances. Pour lui, une telle vection ne fait aucun doute, ne serait-ce que parce que la raison ne saurait se transformer sans raison. Il n’est cependant pas possible de désigner quoi que ce soit d’ultime qui orienterait la progression des connaissances, que cette chose soit le réel en soi, ou au contraire une raison immuable, conçue comme a priori ou réduite à un principe logique tel que celui d’identité. La seule thèse qu’impose à ce jour le double examen du développement cognitif et de l’histoire des sciences est celle d’une cohérence et d’un équilibre croissant (donc d’une réversibilité croissante) que manifeste l’évolution des structures cognitives à chacune des étapes de cette progression.

Terminons cette présentation par une remarque. A lire et relire ce chapitre de conclusion, il est difficile d’échapper au sentiment que, non seulement la synthèse à laquelle aboutit « L’introduction à l’épistémologie génétique » reprend, en les développant, les thèses épistémologiques esquissées dès les années 1920, mais que les questions qu’elle traite et les notions qu’elle déploie pour rendre compte de l’accroissement des connaissances seront à leur tour reprise pour donner lieu à toute une série d’enquêtes complémentaires lors de la dernière décennie de recherches dirigées par Piaget au Centre international d’épistémologie génétique (recherches sur la prise de conscience, sur l’abstraction réfléchissante, sur la généralisation constructive, sur les correspondances, sur la dialectique des significations… en un mot, sur les mécanismes de construction cognitive).



[…] un bébé de 8-9 mois ne possède assurément aucun sentiment de son moi individuel. Le moi est un produit social qui s’obtient par comparaison, puis par opposition, avec les autres «moi».